Les dessins de la colère 2.0 : la blogosphère prend le relais

Alors que les médias de la planète débattent encore de cette affaire, qu’on se divise sur la question de savoir s’il faut ou non calmer le jeu, ne plus afficher « les dessins sataniques » (couverture de Libération du 3 février), un acteur essentiel a été oublié dans ce débat. Un acteur qui balaye la question de savoir s’il faut oui ou non publier : la blogosphère…
Le sujet a rarement eu autant d’écho sur le net. En quelques jours, le réseau s’est emparé du sujet. L’affaire est donc loin d’être terminée. Et on voit mal ce que les radicaux islamistes vont pouvoir faire. Une e-fatwa contre Internet ?

L’ampleur du phénomène est tout bonnement stupéfiante. En témoigne le top 5 des recherches et tags du principal moteur de recherche pour blogs, technorati, ce 4 janvier sur … 27 millions de blogs…

À 13 heures :

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Les dessins de la colère : Nous sommes tous des Salman Rushdie !

J’ai rapidement fait ce petit logo « Nous sommes tous des Salman Rushdie » pour manifester contre ce nouvel obscurantisme dont nous sommes victimes. N’hésitez pas à le reprendre. (*)
all salman rushdie >ici

Cette histoire est tout bonnement hallucinante. En septembre dernier le quotidien danois Jyllands-Posten publie quelques caricatures de Mahomet, et c’est l’embrasement de l’univers islamiste radical. L’Égypte et l’Arabie Saoudite ont été les premières à réagir. L’Arabie Saoudite a rappelé son ambassadeur, suivie par la Libye. Les trois pays, ainsi que le Koweït et l’Irak, ont appelé au boycott des produits danois et norvégiens.
Ont suivi le Soudan, la Syrie, la Jordanie, La Ligue arabe, la Mauritanie ou le Maroc

Et ce n’est évidemment que le début. Car la publication blasphématoire n’était pas encore reproduite à travers l’Europe… notamment en France dans France Soir, qui a vu son directeur de la publication Jacques Lefranc (avec lequel je me solidarise) viré par le propriétaire franco-égyptien du journal, Raymond Lakah.
Une quasi fatwa, plagiat de celle qui pèse encore sur la tête de l’écrivain anglais Salman Rushdie prend forme. De l’Asie à l’Afrique en passant par le Proche-Orient les manifestations se multiplient, même en Indonésie… On en est là.

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Un feuilleton antisémite égyptien sur Noos?

Un feuilleton antisémite égyptien sur Noos?
Date de Création: 20 Dec, 2002, 01:34 PM
La série est pitoyable : une image de mauvaise qualité, des acteurs exécrables, le tout baigné dans une mise en scène vulgaire et épaisse. On se demande ce qui a pu faire que des chaînes de télévisions égyptienne, marocaine, saoudienne ou libyenne, aient pu vouloir acquérir les droits du programme « un cavalier sans cheval» . « Faris Bila Jawad » dans le texte, est produit et interprété par un célèbre et néanmoins obscur acteur égyptien Mohammed Sobhi. La série est piteuse, sans intérêt, mais quelque chose a plu. Et ce quelque chose, c’est l’antisémitisme qu’elle véhicule.
Le pitch du programme est simple : une adaptation foireuse des « Protocoles des Sages de Sion » – texte antisémite du début du siècle que l’on sait bidonné et qui révèlerait le plan secret des juifs du monde entier pour soumettre la planète. La presse française (Libération du 5 novembre) et étrangère s’en est émue et a dénoncé à juste titre sa diffusion dans l’espace arabo-musulman en plein Ramadan. Seulement la série n’a pas été déprogrammé. Bien au contraire . Elle est devenue entre-temps une «Oeuvre nationale » (pour ne pas dire Cause), soutenue par une centaine d’intellectuels égyptiens, dont le président du syndicats des acteurs, le président du syndicat des avocats, l’hebdomadaire « Al Ousbouh » ou le journal « Al Hayat »…La propagande anti-juive est grossière mais plus efficace encore que celle provenant d’intégristes marginaux. Essentiellement parce qu’elle est populaire et laisse à imaginer au plus grand nombre que les juifs de l’univers sont assoiffés de sang et d’argent . Mais qu’on se rappelle ce qu’une simple émission de radio, celle des mille collines au Rwanda a pu générer comme haine.
Or, dans son bouquet numérique, le cablo-opérateur français Noos proposait dimanche 15 décembre à 23h sur la chaîne publique égyptienne E.S.C.1 (qu’elle diffuse), un épisode de la série « un cavalier sans cheval ». L’émission attise pourtant la fantasmagorie antisémite, alors même qu’existent de notables tensions entre les communautés en France. Elle est diffusée dans un contexte international brûlant. Noos tient là une lourde responsabilité. Le CSA, j’espère, sera saisi au plus vite, et gageons que dimanche prochain à 23h l’obscurantisme et le rejet de l’autre ne seront plus célébrés dans le paysage audiovisuel français.

Tristan Mendès France
Le Figaro 20 Décembre 2002

La légende du Juif Errant, prototype idéologique de l'immigré porteur de maladie

De toutes les légendes populaires, celle du Juif Errant est sans nul doute une des plus universellement répandues. La mystérieuse figure du Marcheur Éternel a toujours séduit les imaginaires : les romanciers, les poètes, les érudits ou les peintres ont étudié, commenté et reproduit sous différentes formes ses traits immuables. C’est Grégoire de Tours[1] qui, le premier nous fait connaître la légende. Mais c’est à Mathieu Pâris[2], bénédictin anglais qui vivait au temps de Henri III qu’on doit le premier récit détaillé : Cartophilus (ou Cartaphilus) portier du prétoire de Ponce Pilate, frappa Jésus Christ d’un coup de poing au moment où celui-ci franchissait le seuil de la porte et lui dit : “Marche ! Jésus, vas donc plus vite. Pourquoi t’arrêtes-tu ? » Jésus se retournant lui répondit : “Je vais. Mais toi, tu attendras ma seconde venue : tu marcheras sans cesse ». Et Cartophilus se mit en route pour ne plus jamais s’arrêter.

Ne morra pas voirement
Jusqu’au jour del jugement[3].

Plus près de nous, le Juif Errant a séduit encore bien des romanciers. Goethe, Béranger, et surtout Eugène Sue[4] qui présente en 1844-45, la version qui nous intéresse : Précédé par le choléra, le juif légendaire passe son chemin contaminant ses pas du mal dont il porte le fardeau. Il va, chargé de maléfice et de mort. Eugène Sue montre l’Éternel Maudit, sur les “hauteurs » de Montmartre, conjurer Dieu de le délivrer du fléau invisible qu’il sème sur ses traces, la peste, dont l’épidémie de choléra de 1834 a fait revivre la hantise. Le juif est contaminé par le Mal, et il répand l’épidémie sur son passage.

Cette légende semble avoir eu un écho notable à la fin du XIXème siècle. Champfleury rapporte en 1869 : “Entre toutes les légendes qui se sont ancrées dans l’esprit du peuple, celle du Juif Errant est certainement la plus tenace » [5], surtout dans la culture des classes moyennes et d’une certaine élite. Élite scientifique notamment, qui va très vite tenter de tirer le mythe hors de son assise fantasmagorique.

  • L’apport théorique du professeur Charcot : l’élaboration d’une pathologie de la migration.

Une étape essentielle est franchie à la suite d’événements historiques précis. La virulence des pogroms russes de 1881, amène sur la route de l’exil un nombre impressionnant de juifs est-européens vers la France. Ce qui suscite des réactions de panique de la part de la presse nationale qui titre de façon alarmiste : “l’invasion juive de Paris ». Cet arrivage désordonné propulse dans les centres villes bon nombre de juifs sans abris, vivant dans la promiscuité ou le vagabondage. On commence dés lors à associer cet état d’errance à la vieille légende du Juif Errant, au point de considérer que c’est dans la nature du juif que d’errer sans cesse.
On doit au professeur Charcot et notamment à ses célèbres “leçons du mardi », la première conception théorique de la pathologie du Juif Errant. Le médecin imagine que les juifs souffrent d’un stress spécifique hérité au cours des siècles, résultant probablement des exclusions successives dont ils furent l’objet. D’autres après lui, identifient une pathologie liée au déracinement du voyage : En 1893, le docteur Henry Meige, l’élève de Charcot, entreprend de poursuivre l’étude médicale. Il tente d’asseoir la passerelle entre le mythe et le terrain médical : “Presque toutes les légendes tirent leur origine d’observations populaires portant sur des faits matériels »; c’est cette observation qui lui fait penser que le Juif Errant pourrait bien n’être qu’une “sorte de prototype des israélites névropathes pérégrinant de par le monde »[6]. Ayant eu l’occasion d’observer des juifs neurasthéniques ou vagabonds, il consacre à leurs cas sa thèse de doctorat et il aboutit à la conclusion suivante : “Le Juif Errant existe donc aujourd’hui; il existe sous la forme qu’il avait prise aux siècles passés… Carthaphilus, Ahasvérus, Isaac Laquedem relèvent de la pathologie nerveuse au même titre que les maladies dont nous venons de retracer l’histoire »[7].

  • L’instrumentalisation du Juif errant par les milieux antisémites et nationalistes.

C’est donc au professeur Charcot que l’on doit l’idée que le juif est atteint d’un trouble mentale lié à sa migration. Cet apport théorique est important car il permettra à terme de se détacher du juif, en transposant ce trouble psycologique à tout migrant. En somme, ne pas avoir d’assise nationale peut entrainer des pathologies et pour être bien portant, il est conseillé d’être nationaliste et patriote. La récupération idéologique n’est pas loin… 
À la “névrose juive » liée à l’errance dont Charcot parle, répond cette “implacable maladie juive » liée au cosmopolitisme d’un Édouard Drumont. 
Les campagnes antisémites du début du siècle sont particulièrement flagrantes. Provenant presque systématiquement des milieux ultra-nationalistes, ces dernières proposent toujours le même schéma de pensée : En 1910, le quotidien antisémite La Liberté accuse la communauté juive immigrée de Paris d’être à l’origine de la propagation d’une épidémie de conjonctivite et de constituer un véritable « fléau social » (ce qui n’est pas historiquement fondé). Une deuxième campagne sur le même thème est initiée en 1920 par quelques sénateurs anciens anti-dreyfusards accusant cette fois-ci les juifs immigrants d’apporter « toutes sortes de maladies, notamment la lèpre, et surtout le mal n° 9 [la peste] “[8].
Louis Dausset, l’un des sénateurs de cette affaire, après avoir évoqué les dangers épidémiques que représentent les immigrés juifs à Paris, avance que ces derniers sont également “porteurs du poison révolutionnaire »[9]. Propos qu’on retrouve en novembre de la même année, dans Le Petit Bleu : “Ces indésirables [les juifs migrants] n’essaiment pas que des microbes mais répandent dans le bas peuple avec lequel ils prennent contact, les doctrines du bolchévisme défaitiste »[10]. Gaudin de Vilaine, un autre sénateur, fait une synthèse économique de ce que sont les juifs immigrés en 1920 à Paris : des “microbes anarchiques »[11].

  • De la psychopathologie à l’hygiène 
des migrants.

Avec le temps, le facteur antisémite du discours va doucement s’effacer pour laisser la place à d’autres bouc-émissaires. Le propos va pouvoir ainsi muter en préservant sa structure interne. Si ne pas avoir de patrie peut être une maladie, il n’y a pas de raison que seuls les juifs soient atteints (même s’ils en sont une expression topique). Tout immigré a, par conséquent, une propention naturelle à ce type de pathologie, à cette maladie de la nation.
Cet a-priori du migrant porteur de maladie vient pervertir les discours sur l’immigration sans qu’on puisse toujours savoir clairement ce qui du fantasme ou de la réalité médicale l’emporte. 
Quand la Fédération des Académies de médecines fait adopter le 8 et 9 novembre 1996 à Bruxelles, une motion enjoignant les membres de l’Union Européenne à se méfier “des risques que présente l’immigration, en particulier l’immigration clandestine en propageant certaines maladies … dont la fréquence devient menaçantes“, doit-on y lire un danger réel? Lorsque le 13 avril 1997 l’Hérald Tribune titre: “Europe faces disease invasion from East“, doit-on véritablement s’inquiéter ?
Cette légende populaire plus que millénaire a trouvé son chemin jusqu’à nous. Comme tout mythe idéologisé, le Juif Errant fait mouche dans les esprits, en réactivant des schémas ancestraux où le juif – métonymie de l’autre – devient l’agent de diffusion d’un mal anti-national qu’on ne peut circonscrire. Jean-Marie Le Pen en est un véhicule révélateur. En utilisant le néologisme « Sidaïque » – contraction de sida et judaïque – il n’est qu’une courroie de transmission de cette vieille légende du Juif Errant porteurs d’épidémies.
Tristan Mendès France.
Revue Passages 
9-4-98

[1] Grégoie de Tours, Epistola ad Sulpilium Bituriensem, trad. de l’abbé Marolles, II, 712, p. 148. 
[2] Matthoei Pâris, Historia Major, in fol. édit. Will Wats., p. 352, Londini, 1640. 
[3] Chronique rimée de Ph. Mouskes, ed. Reiffemberg, p. 491. 
[4] Eugène Sue, Le Juif Errant, Laffont, Paris, 1990. 
[5] In Léon Poliakov, Histoire de l’antisémitisme, p. 368. 
[6] Henry Meige, Etude sur certains névrophates voyageurs. Le Juif Errant à la Salpêtrière, Paris, 1893, p. 8-9. 
[7] Ibid, p.61. 
[8] Journal Officiel du 2 décembre 1920 [p. 1537 et s.]. 
[9] Ibid. 
[10] Le Petit Bleu, 3 novembre 1920. 
[11] Journal Officiel du 2 décembre 1920 [p. 1537 et s.].

Les offensives du révisionnisme nippon

Les offensives du révisionnisme nippon
Date de Création: 19 Sep, 1997, 12:49 PM

L’extrême droite japonaise, malgré sa faiblesse électorale, fait beaucoup parler d’elle depuis quelques mois. Elle est à l’origine de certaines tensions qui se sont immiscées dans les relations diplomatiques entre la Chine et le Japon depuis le mois d’août, et concentre désormais son offensive autour d’une nouvelle conception de l’histoire: le Jiyushugi shikan, qu’on pourrait traduire par  » libéralisme historique « . Nobukatsu Fujiyoka, professeur à l’université de Tokyo est l’initiateur de ce révisionnisme nippon qui, accompagné d’un collectif de professeurs d’universités et d’une centaine de députés du PLD (le Parti Libéral Démocrate), use de son prestige afin de remettre en cause la responsabilité du Japon dans les crimes perpétrés par l’armée impériale au cours de la guerre de colonisation. Ishigara, auteur reconnu dans son pays, a récemment publié un livre en collaboration avec Yoshinori Kobayashi. Ce dernier, personnage atypique et inquiétant est un manga-ka (un dessinateur de BD japonaise) qui, par ses talents de satiriste et grâce à la tribune qui lui est offerte deux fois par mois dans la revue Sapio, une revue très populaire auprès de la jeunesse, prétend par exemple que ce qu’on appelle dans les manuels d’histoire les  » femmes de réconfort forcées « , ces jeunes femmes coréennes enrôlées de force dans les bordels de l’armée impériale, étaient soit venues de leur plein gré, soit amenées par des collaborateurs chinois un peu zélés. En bref, le Japon ne serait pour rien dans cette triste histoire qui laisse encore de profondes traces dans les mémoires, et particulièrement en Corée où le Japon n’a jamais présenté d’excuses officielles ou indemnisé les victimes. Mais, nous explique Kobayashi, le Japon n’a aucune raison de faire des excuses à ses voisins puisqu’il n’est pas responsable des crimes qu’on lui reproche encore. Habile et complexe, Yoshinori Kobayashi aime brouiller les cartes. Et s’il ne réfute pas complètement le terme de nationaliste, il se prétend non-raciste et antimilitariste. Le manga, nul ne peut aujourd’hui l’ignorer, est un art populaire qui brasse au Japon une clientèle très large, et les arguments de Kobayashi (étayés dans un manga intitulé  » une nouvelle déclaration d’orgueil « ) pourraient bien trouver quelque écho auprès d’une jeunesse fébrile qui ne veut à aucun prix être tenue pour responsable des crimes perpétrés par ses aînées, crimes restés tabous et frappés par la loi du silence. De son côté, à l’instar de Nobukatsu Fujiyoka, Kobayashi – accompagné d’un autre professeur d’université, Kanji Nishiyama, et d’un cortège d’intellectuels nationalistes – fait partie d’une association qui comptait 1700 adhérants en mars dernier et qui se comporte en véritable lobby dont l’objectif déclaré est le remaniement des manuels scolaires d’histoires traitant de cette période. Pourtant, à lire ces mêmes manuels où les expériences bactériologiques de l’unité 731 sont à peine évoquées, où les crimes contre l’humanité perpétrés en Mandchourie ou en Corée sont paraphrasés par d’obscurs euphémismes, on est loin des polémiques qui, en France, progressent néanmoins vers une plus grande lumière à l’égard des responsabilités du régime de Vichy.

Le 29 août 1997 la cour suprême du Japon a reconnu, pour la première fois, l’illégalité de la censure gouvernementale sur un manuel scolaire relatant les crimes de guerre de l’armée japonaise, entre les années 1937 et 1945. Et c’est le ministère de l’Éducation qui a été condamné par les juges de la cour suprême. L’affaire avait été amenée devant les tribunaux par le professeur d’histoire Saburo Ienaga qui s’oppose aux tentatives révisionnistes de Fujioka ou Kobayashi et à la complaisance dont le PLD, au pouvoir actuellement, fait preuve à leur égard. Cette sanction exemplaire vient à point nommé puisque le premier ministre Ryutaro Hashimoto se rend début septembre en Chine au cours d’une visite officielle. La Chine, qui célèbre cette année le 25e anniversaire de la normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays asiatiques.

Tristan Mendès France
Michael Prazan

Libération 19/9/97