Emaile-moi à Fleurys. Pour le email en prison

Emaile-moi à Fleurys. Pour le email en prison
Date de Création: 30 Sep, 1999, 12:35 PM
30-9-99
« Les détenus condamnés peuvent écrire à toute personne de leur choix et recevoir des lettres de toute personne », c’est le principe qu’expose l’article D 414 du Code de procédure pénale. À ce principe, comme souvent et surtout quand on s’attache à un lieu de privation de liberté comme la prison, beaucoup d’exceptions.
Outre celles, classiques, interdisant l’envoi et la réception de lettre si la correspondance « paraît compromettre gravement… la sécurité et le bon ordre de l’établissement » (art. D 414 al 2), on note des interdictions liées à la lisibilité des textes communiqués (si la missive n’est pas lisible, elle est « retenue »).
À quoi s’ajoute la possibilité pour le détenu, toujours en théorie, de téléphoner vers l’extérieur ou d’être appelé dans des cas exceptionnels (décès familial…) et toujours sous contrôle (c’est à dire écoute).
Au résultat, une situation de principe qui devrait se traduire par la possibilité de recevoir ou d’émettre des emails. Il n’est plus possible en effet de différencier fondamentalement un coup de téléphone d’un fax, une lettre d’un courrier électronique. C’est la conséquence technologique de ce que les spécialistes appellent le digital meltingpot, ou creuset numérique…Restent malgré tout deux problèmes au email en taule : l’argent d’abord. Peut-on sans être naïf espérer une ligne téléphonique pour chaque prisonnier ? Non bien sûr, mais de plus en plus d’établissements pénitentiaires (notamment en région parisienne) vont se doter d’une connexion Internet d’ici quelques mois. Rien n’empêche dès lors aux familles d’emailer au centre carcéral qui imprime le texte pour le détenu qui à son tour rédige une lettre qui peut être reemailée.
La lisibilité, ensuite. Le email ne va-t-il pas permettre au prisonnier de commettre un cyber hold up ? Encore une fois aucun risque. Le courrier électronique est aussi voir plus contrôlable que la simple missive puisqu’en définitive le transfert des messages passe inévitablement par le filtre des services pénitentiaires.
On peut remarquer au surplus qu’il existe déjà des moyens télématiques de correspondance entre les détenus et leurs proches. Certains établissements se sont dotés d’un service Minitel comprenant une messagerie électronique (3615 Baumettes, par exemple). Or, encore une fois, la différence qui existe entre l’Internet et le Minitel est ténue. À ceci près que le Minitel est cher, très cher pour des familles souvent modestes. On pourrait objecter que ces mêmes familles ont peu de chance de posséder le matériel informatique qui leur permettrait la conversation électronique ; ce serait oublier que certains services associatifs ou institutionnels d’aide aux détenus sont déjà équipés.

Il existe évidemment des problèmes beaucoup plus grave en prison (non remise du règlement interne aux détenus, contrôles externes quasi inexistant…) mais ce petit plus, qui ne coûte rien à l’administration pénitentiaire, moins cher qu’un timbre postal pour les familles et le prisonnier, tend à rappeler que la liberté de communication, quelque soit le médium, est un droit fondamental ; même pour les taulards. Gageons que la rentrée parlementaire qui se penchera sur le délicat dossier de l’administration pénitentiaire sera l’occasion d’insérer un disposition en ce sens.

Tristan Mendès France

Nos élus chez les taulards !

Nos élus chez les taulards ! Date de Création: 23 Jun, 1999, 12:34 PM
Pour que les lieux de privation de liberté soient accessibles à la représentation nationale, inspirons nous des italiens.

Les récentes révélations de l’Observatoire international des prisons rappelle encore une fois que le milieux carcéral français n’est pas à l’abri de graves dérapages. Les incidents de la maison d’arrêt de Beauvais témoignent une nouvelle fois de l’opacité qui règne dès que l’on franchit les grilles de la prison. Comme toujours, on manque d’observateurs externes qui pourraient tirer le signal d’alarme lorsque des irrégularités sont commises par l’administration pénitentiaire. Outre la résolution d’application lointaine et incertaine du Parlement européen du 17 décembre 1998 qui propose de faire en sorte « que les députés européens disposent du droit de visite et d’inspection dans les établissements pénitentiaires », c’est de l’autre coté des Alpes que vient l’initiative la plus aboutie. Depuis près d’un quart de siècle maintenant, la législation italienne prévoit la possibilité aux parlementaires, conseillers régionaux, membres de la Cour constitutionnelle ou du conseil supérieur de la magistrature, de pénétrer dans n’importe quelle prison du territoire national, à n’importe quelle heure et sans autorisation préalable. L’article 67 de la loi pénitentiaire italienne du 26 juillet 1975 favorise ainsi l’accès du milieux carcéral à la représentation nationale. Une longue tradition qui fait de l’Italie un pays pionnier dans la défense des condamnés. Mario Vaudano, président de la Cour d’appel de surveillance de Turin et grand praticien du traitement en incarcération, rapporte que les institutions pénitentiaires sont visités par des représentants nationaux en moyenne au moins une fois par semaine et constate même une légère progression dans la fréquence des visites ces dernières années. On en est malheureusement bien loin aujourd’hui en France, et qui sait ce qui se serait passé à Beauvais si un parlmentaire s’était déplacé ? Le principe reste pourtant que dans tout état de droit qui se respecte, la prison est un lieu relevant de l’espace public, contrôlé par la société civile, elle-même représentée par ses élus. Or, à ce jour, députés et sénateurs français ne peuvent accéder au système carcéral sans autorisation préalable, autant dire sans garantie réelle de pouvoir constater un mauvais traitement. En d’autres termes, la chaîne de contrôle qui va de la société à la prison est brisée et le système pénitentiaire se trouve ainsi déplacé hors du champs de visibilité de la conduite démocratique. Tous les lieux de privations de libertés (garde à vue, zone de rétention, prison, voire ministère de l’intérieur) devraient pouvoir être accessible à nos représentants nationaux de façon à ce que, comme en Italie, aucun angle mort ne puisse obstruer l’observation et le contrôle des lieux d’incarcération. Gageons que notre Garde des sceaux, inspirée par cette belle initiative transalpine, trouvera l’espace nécessaire pour insérer dans son projet de loi portant création de la Commission nationale de déontologie, une telle disposition … à moins que nos élus amendent eux-mêmes le texte dans cette direction.

Tristan Mendès France
(23/6/99)

Pétain, Le Monde et la Cour européenne des droits de l'homme.

Le 14 Jan, 1999, 12:40 PM

Le 23 septembre dernier, la Cour européenne des droits de l’homme rendait un arrêt particulièrement inquiétant qui jusqu’à ce jour n’a entraîné de réactions officielles ni des autorités publiques, ni des milieux associatifs citoyens.L’affaire remonte au 13 juillet 1984. Dans un encart publicitaire portant le titre « Français vous avez la mémoire courte », le quotidien Le Monde publiait une pleine page dont l’objectif affiché était la réhabilitation du Maréchal Pétain. Marie-François Lehideux, ministre du maréchal de septembre 1940 à avril 1942 et Jacques Isorni, ancien avocat du barreau de Paris, défenseur de Pétain devant la Haute Cour de justice (tous deux aujourd’hui décédés), étaient à l’origine de cette initiative. Le rôle du maréchal durant la seconde guerre mondiale y était présenté comme « salutaire ». Et comme Maurice Papon il y a peu, le Maréchal y était comparé à Dreyfus, une manière de se dédouaner par avance de toute espèce d’antisémitisme et de s’associer, comme de coutume, à ce symbole républicain de l’erreur judiciaire. La sempiternelle théorie dite du « bouclier », dont il fut prouvé maintes fois qu’elle était sans fondement, était reprise pour tenter de justifier la politique du maréchal Pétain. Le Monde publia cette pleine page sans autre commentaire, avalisant, indirectement, cette apologie de Vichy.

Deux associations (l’Association nationale des Anciens Combattants de la Résistance et le Comité d’Action de la Résistance), furent les seules à s’alarmer d’une telle publication au sein du plus prestigieux quotidien français, et décidèrent de porter l’affaire devant les tribunaux. Après un parcours judiciaire long et tortueux, la Cour d’appel de Paris condamna en dernier ressort, le journal et les deux anciens collaborateurs de la politique de Vichy pour « apologie des crimes ou délits de collaboration avec l’ennemi », par un arrêt daté du 26 janvier 1990. Les associations représentant messieurs Isorni et Lehideux, après avoir épuisé tous les recours internes du Droit français, saisirent la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Contre toute attente, la Cour de Strasbourg, dans un arrêt du 23 septembre 1998, a estimé « disproportionnée, et dès lors non-nécessaire dans une société démocratique la condamnation pénale subie par les requérants » (en l’espèce un franc de dommages et intérêts ainsi que la publication du jugement dans Le Monde). Autre argument invoqué : le fait qu’ « il ne convient pas, quarante ans après, d’appliquer la même sévérité à l’évocation d’événements que dix ou vingt ans auparavant ». La Cour Européenne des Droits de l’Homme, dans son rendu, souligne également que la collaboration du maréchal Pétain avec l’occupant nazi « relève d’un débat toujours en cours entre historiens sur le déroulement et l’interprétation des événements dont il s’agit. A ce titre, elle échappe à la catégorie des faits historiques clairement établis », même si Pétain fut condamné à mort et à l’indignité nationale par arrêt de la Haute Cour de Justice du 15 aout 1945 du chef d’intelligence avec l’ennemi. Une décision qui va à l’encontre de la juridiction française en ce domaine et qui jette la suspicion sur les condamnations de Maurice Papon ou Roger Garaudy. C’est donc pour ces différents motifs que la Cour vient de condamner la France a verser aux requérants une somme de 100 000 francs de frais et dépens, pour violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ; article qui prétend garantir la liberté d’expression.

Que s’est-il passé depuis lors ? Rien ou presque. On peut comprendre qu’on ait cherché à ne pas trop ébruiter l’arrêt (par ailleurs disponible in extenso sur le site Internet de la Cour de Strasbourg : www.dhcour.coe.fr/fr/LEHIDEUX%20FR.html) afin d’éviter toute récupération politicienne ou idéologique, soit par les anti-européens (Amsterdam oblige), soit par les négationnistes et autres nostalgiques de l’Etat Français (trop heureux de voir une instance soutenir l’un des leurs). Mais se taire sur un tel sujet n’atténue en rien le trouble provoqué à l’issu de la décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et n’empêche en rien la satisfaction des milieux d’extrême droite pour qui l’affaire fait jurisprudence. Il ne fait dès lors aucun doute qu’à terme, d’autres associations (cultivant la mémoire qui de Laval, qui de Darquier de Pellepoix), sous couvert de liberté d’expression, tenteront de contourner un appareil juridique français contraignant (lois Pleven, Fabius, Gayssot) en saisissant la Cour Européenne de Strasbourg, ouvrant toute grande la porte du négationnisme au mépris de toute éthique historique.

Tristan Mendès France
Michaël Prazan
14-1-99

La politique virtuelle des idéologues négationnistes : vers une Internationale révisionniste

La politique virtuelle des idéologues négationnistes : vers une Internationale révisionniste

Date de Création: 26 Oct, 1998, 12:56 PM

 » Grâce principalement à Internet, le vent tourne en faveur du révisionnisme historique. Pour la première fois depuis vingt  ans, je n’ai plus de procès en cours  » dixit Robert Faurisson, le chantre du négationnisme français. Depuis l’extension du réseau des réseaux ces dernières années en France, la loi Gayssot qui repoussait dans la marginalité les négateurs de crimes contre l’humanité, semble en effet devenir caduque. Les négationnistes profitent aujourd’hui d’une contradiction de nature entre un média transnational (Internet) et une législation qui reste cantonnée aux frontières nationales. C’est dans ce
no-man’s land virtuel et juridique que prospère le révisionnisme. Ces sites, tout en dévoyant le combat pour la  » liberté d’expression  » (1), ont élaboré une stratégie concertée des  » links  » entre militants qui permet d’internationnaliser le discours
(2). (1) La majorité des sites négationnistes s’affiche en premier lieu comme des défenseurs de la liberté d’expression. On retrouve souvent, en front page des sites, soit le médiatique ruban bleu, symbole de la lutte pour la liberté de parole, soit le texte intégral de l’article 19 de la Déclaration internationale des droits de l’homme de 48 stipulant que  » Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression « . Liberté d’opinion qui permet à Bradley R. Smith (voir son site CODOH) ou Ernst Zundel, deux figures légendaires du négationnisme américain, de soutenir inlassablement que les chambres à gaz n’ont jamais existé et que le chiffre de 6 millions de juifs exterminés par les nazis serait un  » mythe « .

(2) Dans un second temps, les négationnistes doivent occuper l’espace médiatique du Net. Ils profitent déjà d’une place privilégiée puisque que le nombre de leurs sites est par trois fois supérieur à celui de leurs détracteurs. Sur-représentés, liés les uns aux autres, ils parviennent à démultiplier leur audience sur le Net, en organisant judicieusement les  » links « . Deux avantages : gonfler artificiellement le volume des  » hits  » (autrement dit, du nombre des personnes qui se connecte sur un
site); et créer des passerelles idéologiques. Ainsi peut-on circuler de Radio Islam (voir carte) à la Fondation Européenne pour le Libre Examen Historique (VHO) en passant par l’Association des Anciens Amateurs de Récits de Guerre et d’Holocauste (AAARGH). Et si ces liens ne sont que virtuels dans un premier temps, ils favorisent à terme un
rapprochement structurel entre les différentes mouvances qui instrumentalisent le négationnisme pour ouvrir la voie à une véritable « Internationale révisionniste ». Enfin, le média internet permet aux groupuscules d’extrême droite ou d’extrême gauche de s’adonner au  » shoah business  » en récoltant des dons, ou par la vente de produits dérivés en tous genres (ouvrages prohibés, revues ou journaux négationnistes etc…).

Tristan Mendès France
Michaël Prazan
Marianne 26 octobre 98

« Notre choix de la mort est un acte de liberté »

« Notre choix de la mort est un acte de liberté »
Roger et Claire Quilliot
Date de Création: 26 Aug, 1998, 12:59 PM
Alors que Montherlant voyait dans le suicide la maîtrise suprême de sa destinée, le droit positif français, síil ne sanctionne pas le fait de se donner la mort, condamne celui qui donnerait suite à cette demande. Líeuthanasie (littéralement la recherche díune « bonne mort », díune mort douce) est au jour díaujourdíhui illégal. Idem pour líorthothanasie ou euthanasie passive qui consisterait à admettre le renoncement díun individu même par avance à tous soins destinés à prolonger la vie lorsque la médecine ne laisse aucune chance de guérison. Mais pourquoi donc refuse-t-on la légalisation de líeuthanasie ? A-t-on peur que le corps médical français soudainement débridé laisse libre cours à ses penchants sadiques et pervers en exterminant sans quíils le souhaitent tous vieillards pénétrant l’hôpital ? A-t-on peur que des intérêts financiers occultes viennent distraire le docteur de son rôle de soignant ? Non, ce serait à la fois mépriser le corps médical dans son travail et faire preuve díune paranoïa conspirationniste (bien clinique celle-là).

Síil y a blocage sur la question, cíest le résultat díune culture. Et plus précisément díune culture catholique qui a depuis toujours magnifié la souffrance, celle de Jésus en croix díabord, celle díun petit vieux mourant sous chimio, ensuite. Líévêque auxiliaire de Paris, Mgr André Vingt-Trois, semble préférer mourir ou voir mourir ses proches dans des convulsions infâmes, la bave aux lèvres et la diarrhée parce quíil « est de mauvaise foi de partir de cet impératif de soulagement pour introduire subtilement la liberté de mettre à mort ». Cela signifie-t-il que líancien ministre socialiste Roger Quilliot est de mauvaise foi lorsquíil écrit dans sa lettre testament « Notre choix de la mort est un acte de liberté » ? Ce serait insulter sa mémoire. Si certains jusquíau-boutistes veulent expérimenter les frontières de la douleur au prétexte que cette dernière aurait une valeur rédemptrice, quíils le fassent. Mais pour líamour de dieu, quíils ne líimposent pas aux autres.

La culture catholique française explique pour partie la frilosité des opinions face à ce cas de conscience quíest líeuthanasie. Pourquoi chercherait-on à justifier les actes de líinfirmière, Christine Malèvre, en évoquant le fait quíelle ait « disjoncté », quíelle ait eu un trauma expliquant son dégoût de la souffrance díautrui ? Est-il aujourdíhui impossible de dire en France, quíelle a été touchée par la grâce, quíelle est une sainte moderne qui a sauvé des vies de líenfer parce que líenfer est ici bas et quíil prend la forme de la douleur physique ?

Cíest effectivement aujourdíhui impossible. Dire quíil est bien de mourir comme on veut, que ce soit par sa main propre ou celle díun autre pourvu quíon le souhaite, cíest síexposer à la loi du 31 décembre 1987 punissant la « provocation au suicide tenté ou consommé par autrui ». On peut espérer de tout coeur que Roger-Gérard Schwartzenberg sera écouté par le gouvernement et quíun véritable débat sur líeuthanasie síouvrira, loin díidéologies díun autre temps. Après la légalisation de líavortement, la suppression de la peine de mort, un autre saut civilisationnel reste à faire : légaliser líeuthanasie.

Tristan MENDèS FRANCE
Michaël PRAZAN
Prochoix n°7 aout-septembre 98