Qui se cache derrière Radio Courtoisie ?

Qui se cache derrière Radio Courtoisie ?
Date de Création: 17 Apr, 1997, 12:46 PM

Jacques Toubon, ministre de la justice devra trancher et décider du sort de la radio parisienne, proche de l’extrême droite. En 1992, Jacques Toubon, alors ministre de la culture, déclarait : « Radio courtoisie doit demeurer lieu de non conformisme, de pensée vigoureuse, d’expression nationale, et ainsi rencontrer un public […] avide de justice […], à l’écoute de la sincérité « . Aujourd’hui Garde des Sceaux, Monsieur Toubon a été saisi par le CSA, en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale, à la suite des propos négationnistes tenus le 20 mars à l’antenne de RC par Pierre de Villemarest, co-animateur d’une émission de débats. Jacques Toubon sait-il qu’en 92, alors même qu’il apportait son soutien à la radio parisienne, Pierre de Villemarest déclarait le 16 octobre de la même année: « Il y a beaucoup plus de non-juifs massacrés et morts en déportation que de juifs « , accréditant implicitement les thèses négationnistes ?
Il y a une centaine d’année, Maurras mettait sur pied son grand projet de refonte des droites en France, de toutes ces droites qui, à l’époque, avaient la particularité d’être foncièrement antirépublicaines, et antisémites. Qu’est-ce au juste que ces droites qu’on a trop vite tendance à ranger (comme le signale d’ailleurs à juste titre Jean Ferré, président de Radio Courtoisie) dans la nébuleuse de ce qu’on appelle  » extrême droite  » ? L’Action Française de Maurras avait pour ambition de réunir en fait des monarchistes issus de la Contre-Révolution (comme c’est le cas de son créateur), des fanatiques d’un catholicisme pur et dur opposé aux libertés républicaines, des antisémites de tous bords qui se mêlerons plus tard aux groupuscules fascistes annonçant les pires heures du Vichysme et de la collaboration. Pourquoi ce préambule, nous direz-vous ? Eh bien parce que, si l’on s’intéresse aujourd’hui aux figures dominantes qui animent les émissions intitulées  » Libre-journaux  » de Radio-Courtoisie (Dont le nom rappelle la  » Libre Parole  » de Drumont, auteur de la France Juive), on s’aperçoit que ces tendances qui sont à l’origine de l’Action Française et, au-delà, du fascisme en France, on les retrouve encore aujourd’hui au sein de la radio. Exemples: Antidémocrate, monarchiste, franquiste, ancien de la coloniale, Jean Ferré, symbole de la radio et du petit côté  » Résistance  » à la  » pensée unique  » qu’elle se donne, annonce d’entrée la couleur. Serge de Beketch, anar de droite, ancien chargé de communication à la mairie FN de Toulon, est un pilier de Radio Courtoisie, et son  » Libre-Journal » du mercredi soir est souvent consacré à une éminence du parti de Le Pen (quand lui-même n’est pas invité). Claude Giraud anime elle aussi un  » Libre Journal « . Catholique proche de Christine Boutin avec laquelle elle partage la lutte contre l’IVG, elle dirige également la rédaction de Monde et Vie bimensuel catholique et national, proche des intégristes du regretté Mgr Lefebvre. C’est dans cette dernière émission d’ailleurs, que Pierre de Villemarest a prononcé, le 20 mars dernier, les propos négationnistes qui ont enfin attiré l’attention du CSA. L’ancien ministre de la culture, Jacques Toubon, est-il au courant de ces filiations idéologiques. ? Comme l’Action Française, Radio Courtoisie mise tout sur les élites. Maurras qui souhaitait réunir un forum de personnalités issues du gratin de la société civile et politique (universitaires, académiciens, journalistes, éditeurs, écrivains, etc…) capable de créer un pôle dominant suffisamment puissant pour écraser les intellectuels nés de l’Affaire Dreyfus et mettre en branle la République, trouve en Radio Courtoisie une digne héritière. En effet, y sont régulièrement invités, des académiciens comme Jean Tullard ou Jean Dutour, des historiens renommés ( François-Georges Dreyfus, Pierre Chaunu ), des journalistes tels que Jean Claude Valla (Minute) ou Jean Montaldo (écrivain-journaliste), ou encore des avocats dont les causes sont souvent discutables (Maîtres Vergès, Varaut, Wagner ou Trémollet de Villers). Des politiques soutiennent également la radio (environ une trentaine de député) ou y sont régulièrement invités, au nombre desquels on peut citer : Alain Griotteray (UDF), Christine Boutin (UDF-FD), Bruno Golnisch (FN), Bernard Antony (FN) ou Jean-Marie Le Pen en personne. De plus, le projet de Maurras s’appuyait sur un média : La revue de l’Action Française. Avec Radio Courtoisie, c’est seulement la nature du média qui change. L’actuel ministre de la justice en a-t-il conscience aujourd’hui ? Dernière particularité, et non la moindre, que partage Radio Courtoisie avec l’idéologie maurrassienne : l’antisémitisme. La haine du juif et l’idée du complot cimentent aujourd’hui comme hier les éléments composites de l’extrême droite, car comme le disait Maurras :  » Tout paraît impossible ou affreusement difficile sans cette providence de l’antisémitisme. Par elle, tout s’arrange, s’aplanit et se simplifie. Si l’on n’était antisémite par volonté patriotique, on le deviendrait par simple sentiment de l’opportunité « . Pour Jean Ferré, les attaques dont fait l’objet sa radio sont organisées dans l’ombre par de mystérieuses « officines » dont l’objectif serait le muselage de Radio Courtoisie. Ces « officines » rappellent inévitablement les vieilles théories conspirationnistes héritées, entre autre, du Protocole des Sages de Sion. Serge de Beketch, entre deux calembours à connotations antisémites, relativise fréquemment l’ampleur du génocide juif. Il a affirmé le 20 novembre 1996 : « qu’en France, en 1943, on ne traitait pas les juifs comme on traite aujourd’hui les gens du Front National. Evidemment, on les arrêtait, on les déportait… En Allemagne, il y a eu des choses, mais en France, je n’ai pas souvenir qu’il y ait eu de pogromes comme on en fait actuellement aux gens du FN « . Le 20 mars dernier, Pierre de Villemarest, co-animateur du Libre Journal de Claude Giraud, s’est laissé aller à prononcer une phrase qui niait l’existence des chambres à gaz. L’horreur de l’extermination se résume à  » deux ou trois essais  » de zyklon B. Cette phrase malencontreuse (effacée des rediffusions…) a enfin éveillée l’attention du CSA. Alors que le sort de la station est entre ses mains, Jacques Toubon, pense-t-il comme il l’exprimait en termes élogieux il y a 5 ans, que Radio Courtoisie est « avide de justice … et à l’écoute de la sincérité  » ?

Tristan Mendès France. Michaël Prazan.
Tribune Juive 17 avril 97

Le procès Papon, sous deux regards contrastés, celui d'Israël et du Japon

On ne peut pas dire que le procès Papon ait un grand retentissement en Israël.  » quelques minutes à peine sur la première chaîne, dans l’émission hebdomadaire de Roïm Olam consacrée aux questions internationales.  » nous confiait Ygal Palmor, conseiller à l’ambassade d’Israël en France, mais quasiment aucune couverture presse, sinon quelques lignes dans le quotidien Haaretz. Les israéliens, empêtrés dans un processus de paix moribond, traversent sans doute une crise sans précédant, mais on pouvait tout de même s’attendre à une couverture plus large de l’événement, même si la collaboration du régime de Vichy avec l’occupant nazi est établie depuis longtemps dans les esprits de la population israélienne, et qu’un procès qui fait resurgir les vieux démons de notre histoire contemporaine, on peut le penser, ne semble plus guère les concerner. Mais vu d’ici, c’est un peu comme si le judaïsme israélien se refusait à voir au delà de la guerre des six jours les tenants de son identité.Paradoxalement, le procès Papon fait la une des journaux au Japon (notamment dans le principal quotidien; Asahi shinbun – 8 millions d’exemplaires), et le 13 octobre dernier, la NHK, la chaine de télévision publique, consacrait au procès près de 4 minutes de son 20 heures, soit un quart de son temps d’antenne. Cela s’explique pour au moins deux raisons: la première, anecdotique, tient au fait que le Japon garde toujours un oeil sur la France, plus que sur n’importe quel autre pays occidental (excepté les Etats Unis), et cela depuis fort longtemps déjà. Les japonais découvrent en effet que la France, non contente d’être le pays de la haute couture, d’Alain Delon, du vin ou du fromage, se révèle aussi être celui de Vichy et de Papon. La seconde raison, moins superficielle, enfouie dans la mémoire collective de l’archipel, est que le procès de l’ancien préfet de Gironde s’ouvre au moment ou comparaît devant les tribunaux le premier officier japonais témoignant des atrocités commises par l’Unité 731 en Mandchourie, au cours de la seconde guerre mondiale; au moment ou un vrai débat s’engage au Japon sur la responsabilité de l’armée impériale dans les crimes (jusqu’alors demeurés tabous) perpétrés au nom d’une idéologie nationaliste en Chine, en Corée ou aux Philippines. – Rappelons à ce propos que Vichy collabora activement avec le Japon en Indochine, à partir de 1941.

Le 7 octobre dernier, un front d’intellectuels composé, entre autres, du juriste Koken Tsushiya, du romancier Ayako Miura, de Yoko Tajima, professeur à l’université Hosei de Tokyo, s’est constitué pour réclamer toute la lumière sur les exactions commises par le Japon durant cette période et réclame des dommages et intérêts pour les victimes et leurs familles. Il s’oppose en cela à d’autres groupes d’intellectuels, ouvertement révisionnistes, qui demandent de leur côté une révision des manuels scolaires et se refusent à engager la responsabilités du Japon dans des crimes restés vagues, lointains, et dont le retentissement ne peut être aujourd’hui que politique et anti-japonais.

Tristan Mendès France Michaël Prazan
dans L’Arche 1997