Pétain, Le Monde et la Cour européenne des droits de l'homme.

Le 14 Jan, 1999, 12:40 PM

Le 23 septembre dernier, la Cour européenne des droits de l’homme rendait un arrêt particulièrement inquiétant qui jusqu’à ce jour n’a entraîné de réactions officielles ni des autorités publiques, ni des milieux associatifs citoyens.L’affaire remonte au 13 juillet 1984. Dans un encart publicitaire portant le titre « Français vous avez la mémoire courte », le quotidien Le Monde publiait une pleine page dont l’objectif affiché était la réhabilitation du Maréchal Pétain. Marie-François Lehideux, ministre du maréchal de septembre 1940 à avril 1942 et Jacques Isorni, ancien avocat du barreau de Paris, défenseur de Pétain devant la Haute Cour de justice (tous deux aujourd’hui décédés), étaient à l’origine de cette initiative. Le rôle du maréchal durant la seconde guerre mondiale y était présenté comme « salutaire ». Et comme Maurice Papon il y a peu, le Maréchal y était comparé à Dreyfus, une manière de se dédouaner par avance de toute espèce d’antisémitisme et de s’associer, comme de coutume, à ce symbole républicain de l’erreur judiciaire. La sempiternelle théorie dite du « bouclier », dont il fut prouvé maintes fois qu’elle était sans fondement, était reprise pour tenter de justifier la politique du maréchal Pétain. Le Monde publia cette pleine page sans autre commentaire, avalisant, indirectement, cette apologie de Vichy.

Deux associations (l’Association nationale des Anciens Combattants de la Résistance et le Comité d’Action de la Résistance), furent les seules à s’alarmer d’une telle publication au sein du plus prestigieux quotidien français, et décidèrent de porter l’affaire devant les tribunaux. Après un parcours judiciaire long et tortueux, la Cour d’appel de Paris condamna en dernier ressort, le journal et les deux anciens collaborateurs de la politique de Vichy pour « apologie des crimes ou délits de collaboration avec l’ennemi », par un arrêt daté du 26 janvier 1990. Les associations représentant messieurs Isorni et Lehideux, après avoir épuisé tous les recours internes du Droit français, saisirent la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Contre toute attente, la Cour de Strasbourg, dans un arrêt du 23 septembre 1998, a estimé « disproportionnée, et dès lors non-nécessaire dans une société démocratique la condamnation pénale subie par les requérants » (en l’espèce un franc de dommages et intérêts ainsi que la publication du jugement dans Le Monde). Autre argument invoqué : le fait qu’ « il ne convient pas, quarante ans après, d’appliquer la même sévérité à l’évocation d’événements que dix ou vingt ans auparavant ». La Cour Européenne des Droits de l’Homme, dans son rendu, souligne également que la collaboration du maréchal Pétain avec l’occupant nazi « relève d’un débat toujours en cours entre historiens sur le déroulement et l’interprétation des événements dont il s’agit. A ce titre, elle échappe à la catégorie des faits historiques clairement établis », même si Pétain fut condamné à mort et à l’indignité nationale par arrêt de la Haute Cour de Justice du 15 aout 1945 du chef d’intelligence avec l’ennemi. Une décision qui va à l’encontre de la juridiction française en ce domaine et qui jette la suspicion sur les condamnations de Maurice Papon ou Roger Garaudy. C’est donc pour ces différents motifs que la Cour vient de condamner la France a verser aux requérants une somme de 100 000 francs de frais et dépens, pour violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ; article qui prétend garantir la liberté d’expression.

Que s’est-il passé depuis lors ? Rien ou presque. On peut comprendre qu’on ait cherché à ne pas trop ébruiter l’arrêt (par ailleurs disponible in extenso sur le site Internet de la Cour de Strasbourg : www.dhcour.coe.fr/fr/LEHIDEUX%20FR.html) afin d’éviter toute récupération politicienne ou idéologique, soit par les anti-européens (Amsterdam oblige), soit par les négationnistes et autres nostalgiques de l’Etat Français (trop heureux de voir une instance soutenir l’un des leurs). Mais se taire sur un tel sujet n’atténue en rien le trouble provoqué à l’issu de la décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et n’empêche en rien la satisfaction des milieux d’extrême droite pour qui l’affaire fait jurisprudence. Il ne fait dès lors aucun doute qu’à terme, d’autres associations (cultivant la mémoire qui de Laval, qui de Darquier de Pellepoix), sous couvert de liberté d’expression, tenteront de contourner un appareil juridique français contraignant (lois Pleven, Fabius, Gayssot) en saisissant la Cour Européenne de Strasbourg, ouvrant toute grande la porte du négationnisme au mépris de toute éthique historique.

Tristan Mendès France
Michaël Prazan
14-1-99

Séismes boursiers et résurgences antisémites

Aux abords des grandes questions de société que soulèvent les récents crash économiques, un phénomène périphérique prend de plus en plus d’empleur. Ainsi, une figure européenne et mythologique est sur le point de renaître dans des lieux jusqu’alors étrangers à ce type de culture.
Cette figure, c’est celle du juif argentier, spéculateur, banquier ou usurier, insatiable manipulateur d’argent dont le népotisme ou les attaches de par le monde le placent au centre d’un vaste complot international.
En Malaisie, où l’antisémitisme n’est pas connu pour être particulièrement virulent (d’autant plus que très peu de juifs y résident) le premier ministre Mohammad Mahatir a récemment déclaré que la chute du ringgit (la monnaie nationale) serait le résultat d’un  » complot juif  » fomenté depuis New York. Habitués au lepénisme ambiant, on ne pouvait s’étonner, en France, de trouver ce type de discours, ancré culturellement, dans la bouche de certains membres du FN, par ces allusions répétées au  » culte du veau d’or  » et autres  » puissances financières occultes « . Mais la Malaisie nous semblait jusqu’alors bien loin d’une telle dialectique. Il faut croire que certaines idées s’exportent facilement, surtout quand elles savent s’inscrire dans la durée. Car la figure antisémite qui associe juif, argent, usure et spéculation financière ne date pas d’hier. Et si elle réapparaît aujourd’hui, c’est que le véritable mythe qui l’a porté, a probablement survécu jusqu’à nous, comme une image d’épinale ou un réflexe pavlovien. On se souvient peut-être de l’une des définitions du Littré qui, sous le mot juif, donnait cette précision  » … quiconque cherche à gagner de l’argent avec âpreté « . C’est ce juif cupide et sans morale qu’on retrouve dans la littérature dela belle époque (de Jules Vernes à Balzac en passant par Zola. Eh oui, même Zola… – voir Gundermann ou Bush dans L’Argent – ) et dont les Rothchild sont les portes drapeaux involontaires. La  » banque juive  » stygmatisée lors du Crash de l’Union Générale, cèdent le pas à la modernité et aux grands espaces économiques pour devenir un  » monothéisme de marché  » soutenu par le  » capital apatride « . Pour le juif qui  » cherche à gagner de l’argent avec âpreté  » tous les moyens sontbons ; notamment celui qui viendrait à initier une crise économique planétaire. Le Protocoles des Sages de Sion est à cet égard exemplaire. Ce chef d’oeuvre de l’antisémitisme moderne, rédigé en 1900 par la police tsariste, matrice de tous les discours conspirationnistes contemporains, met en scène de vrais-faux sages juifs qui se partagent le monde et exposent leurs différents plans de campagne :  » Nous créerons une crise économique universellepar tous les moyens détournés possibles et à l’aide de l’or qui est entre nos mains  » (3ème protocole) et  » [nous injecterons]le poison du libéralisme dans l’organisation des états  » (10 ème). Ce texte, qu’on retrouve de plus en plus souvent sur leNet, gagne en notoriété dans les pays de l’Est en Russie et plus récemment en Asie, jusqu’au Japon. Le dernier ouvrage d’Uno Masami réactualise ainsi le discours des protocoles derrière un titre éloquent:  » Revealing the Evils of Modern Globalism  » (Démasquer les démons de la mondialisation moderne). Les juifs y sont présentés comme les maîtres du capital mondial, manipulant les politiques nationales par le pouvoir de l’argent et des lobby de l’ombre. Et au coeur du Moyen Orient, dans le cadre d’un processus de paix moribond, l’organe officiel de l’Autorité palestinienne  » Al Hyat al Djadida  » accusait il y a peu M. Nétanyahou d’appliquer comme programme politique … le  » Protocole des sages de Sion « .
Si l’on ajoute à cela un calendrier qui fait coincider une actualité sur la restitution des biens juifs spoliés pendant la seconde guerre mondiale, on peut craindre que l’amalgame juif-fric réintègre l’imaginaire collectif et les discours politiques. Une conjoncture peu favorable qui, on l’aura compris, laisse présager la résurgence de vieux réflexes antisémites.

Tristan MENDèS FRANCE Michaël PRAZAN dans Tribune Juive

La légende du Juif Errant, prototype idéologique de l'immigré porteur de maladie

De toutes les légendes populaires, celle du Juif Errant est sans nul doute une des plus universellement répandues. La mystérieuse figure du Marcheur Éternel a toujours séduit les imaginaires : les romanciers, les poètes, les érudits ou les peintres ont étudié, commenté et reproduit sous différentes formes ses traits immuables. C’est Grégoire de Tours[1] qui, le premier nous fait connaître la légende. Mais c’est à Mathieu Pâris[2], bénédictin anglais qui vivait au temps de Henri III qu’on doit le premier récit détaillé : Cartophilus (ou Cartaphilus) portier du prétoire de Ponce Pilate, frappa Jésus Christ d’un coup de poing au moment où celui-ci franchissait le seuil de la porte et lui dit : “Marche ! Jésus, vas donc plus vite. Pourquoi t’arrêtes-tu ? » Jésus se retournant lui répondit : “Je vais. Mais toi, tu attendras ma seconde venue : tu marcheras sans cesse ». Et Cartophilus se mit en route pour ne plus jamais s’arrêter.

Ne morra pas voirement
Jusqu’au jour del jugement[3].

Plus près de nous, le Juif Errant a séduit encore bien des romanciers. Goethe, Béranger, et surtout Eugène Sue[4] qui présente en 1844-45, la version qui nous intéresse : Précédé par le choléra, le juif légendaire passe son chemin contaminant ses pas du mal dont il porte le fardeau. Il va, chargé de maléfice et de mort. Eugène Sue montre l’Éternel Maudit, sur les “hauteurs » de Montmartre, conjurer Dieu de le délivrer du fléau invisible qu’il sème sur ses traces, la peste, dont l’épidémie de choléra de 1834 a fait revivre la hantise. Le juif est contaminé par le Mal, et il répand l’épidémie sur son passage.

Cette légende semble avoir eu un écho notable à la fin du XIXème siècle. Champfleury rapporte en 1869 : “Entre toutes les légendes qui se sont ancrées dans l’esprit du peuple, celle du Juif Errant est certainement la plus tenace » [5], surtout dans la culture des classes moyennes et d’une certaine élite. Élite scientifique notamment, qui va très vite tenter de tirer le mythe hors de son assise fantasmagorique.

  • L’apport théorique du professeur Charcot : l’élaboration d’une pathologie de la migration.

Une étape essentielle est franchie à la suite d’événements historiques précis. La virulence des pogroms russes de 1881, amène sur la route de l’exil un nombre impressionnant de juifs est-européens vers la France. Ce qui suscite des réactions de panique de la part de la presse nationale qui titre de façon alarmiste : “l’invasion juive de Paris ». Cet arrivage désordonné propulse dans les centres villes bon nombre de juifs sans abris, vivant dans la promiscuité ou le vagabondage. On commence dés lors à associer cet état d’errance à la vieille légende du Juif Errant, au point de considérer que c’est dans la nature du juif que d’errer sans cesse.
On doit au professeur Charcot et notamment à ses célèbres “leçons du mardi », la première conception théorique de la pathologie du Juif Errant. Le médecin imagine que les juifs souffrent d’un stress spécifique hérité au cours des siècles, résultant probablement des exclusions successives dont ils furent l’objet. D’autres après lui, identifient une pathologie liée au déracinement du voyage : En 1893, le docteur Henry Meige, l’élève de Charcot, entreprend de poursuivre l’étude médicale. Il tente d’asseoir la passerelle entre le mythe et le terrain médical : “Presque toutes les légendes tirent leur origine d’observations populaires portant sur des faits matériels »; c’est cette observation qui lui fait penser que le Juif Errant pourrait bien n’être qu’une “sorte de prototype des israélites névropathes pérégrinant de par le monde »[6]. Ayant eu l’occasion d’observer des juifs neurasthéniques ou vagabonds, il consacre à leurs cas sa thèse de doctorat et il aboutit à la conclusion suivante : “Le Juif Errant existe donc aujourd’hui; il existe sous la forme qu’il avait prise aux siècles passés… Carthaphilus, Ahasvérus, Isaac Laquedem relèvent de la pathologie nerveuse au même titre que les maladies dont nous venons de retracer l’histoire »[7].

  • L’instrumentalisation du Juif errant par les milieux antisémites et nationalistes.

C’est donc au professeur Charcot que l’on doit l’idée que le juif est atteint d’un trouble mentale lié à sa migration. Cet apport théorique est important car il permettra à terme de se détacher du juif, en transposant ce trouble psycologique à tout migrant. En somme, ne pas avoir d’assise nationale peut entrainer des pathologies et pour être bien portant, il est conseillé d’être nationaliste et patriote. La récupération idéologique n’est pas loin… 
À la “névrose juive » liée à l’errance dont Charcot parle, répond cette “implacable maladie juive » liée au cosmopolitisme d’un Édouard Drumont. 
Les campagnes antisémites du début du siècle sont particulièrement flagrantes. Provenant presque systématiquement des milieux ultra-nationalistes, ces dernières proposent toujours le même schéma de pensée : En 1910, le quotidien antisémite La Liberté accuse la communauté juive immigrée de Paris d’être à l’origine de la propagation d’une épidémie de conjonctivite et de constituer un véritable « fléau social » (ce qui n’est pas historiquement fondé). Une deuxième campagne sur le même thème est initiée en 1920 par quelques sénateurs anciens anti-dreyfusards accusant cette fois-ci les juifs immigrants d’apporter « toutes sortes de maladies, notamment la lèpre, et surtout le mal n° 9 [la peste] “[8].
Louis Dausset, l’un des sénateurs de cette affaire, après avoir évoqué les dangers épidémiques que représentent les immigrés juifs à Paris, avance que ces derniers sont également “porteurs du poison révolutionnaire »[9]. Propos qu’on retrouve en novembre de la même année, dans Le Petit Bleu : “Ces indésirables [les juifs migrants] n’essaiment pas que des microbes mais répandent dans le bas peuple avec lequel ils prennent contact, les doctrines du bolchévisme défaitiste »[10]. Gaudin de Vilaine, un autre sénateur, fait une synthèse économique de ce que sont les juifs immigrés en 1920 à Paris : des “microbes anarchiques »[11].

  • De la psychopathologie à l’hygiène 
des migrants.

Avec le temps, le facteur antisémite du discours va doucement s’effacer pour laisser la place à d’autres bouc-émissaires. Le propos va pouvoir ainsi muter en préservant sa structure interne. Si ne pas avoir de patrie peut être une maladie, il n’y a pas de raison que seuls les juifs soient atteints (même s’ils en sont une expression topique). Tout immigré a, par conséquent, une propention naturelle à ce type de pathologie, à cette maladie de la nation.
Cet a-priori du migrant porteur de maladie vient pervertir les discours sur l’immigration sans qu’on puisse toujours savoir clairement ce qui du fantasme ou de la réalité médicale l’emporte. 
Quand la Fédération des Académies de médecines fait adopter le 8 et 9 novembre 1996 à Bruxelles, une motion enjoignant les membres de l’Union Européenne à se méfier “des risques que présente l’immigration, en particulier l’immigration clandestine en propageant certaines maladies … dont la fréquence devient menaçantes“, doit-on y lire un danger réel? Lorsque le 13 avril 1997 l’Hérald Tribune titre: “Europe faces disease invasion from East“, doit-on véritablement s’inquiéter ?
Cette légende populaire plus que millénaire a trouvé son chemin jusqu’à nous. Comme tout mythe idéologisé, le Juif Errant fait mouche dans les esprits, en réactivant des schémas ancestraux où le juif – métonymie de l’autre – devient l’agent de diffusion d’un mal anti-national qu’on ne peut circonscrire. Jean-Marie Le Pen en est un véhicule révélateur. En utilisant le néologisme « Sidaïque » – contraction de sida et judaïque – il n’est qu’une courroie de transmission de cette vieille légende du Juif Errant porteurs d’épidémies.
Tristan Mendès France.
Revue Passages 
9-4-98

[1] Grégoie de Tours, Epistola ad Sulpilium Bituriensem, trad. de l’abbé Marolles, II, 712, p. 148. 
[2] Matthoei Pâris, Historia Major, in fol. édit. Will Wats., p. 352, Londini, 1640. 
[3] Chronique rimée de Ph. Mouskes, ed. Reiffemberg, p. 491. 
[4] Eugène Sue, Le Juif Errant, Laffont, Paris, 1990. 
[5] In Léon Poliakov, Histoire de l’antisémitisme, p. 368. 
[6] Henry Meige, Etude sur certains névrophates voyageurs. Le Juif Errant à la Salpêtrière, Paris, 1893, p. 8-9. 
[7] Ibid, p.61. 
[8] Journal Officiel du 2 décembre 1920 [p. 1537 et s.]. 
[9] Ibid. 
[10] Le Petit Bleu, 3 novembre 1920. 
[11] Journal Officiel du 2 décembre 1920 [p. 1537 et s.].

Les conseils en « Shoah business » de Roger Garaudy.

Les conseils en « Shoah business » de Roger Garaudy.

Date de Création: 01 Mar, 1998, 12:52 PM

Roger Garaudy – Profession :  » Shoah businessman « .La condamnation vient de tomber ; Roger Garaudy a été condamné le vendredi 27 février, devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris, à verser 120 000 francs d’amende pour la  » contestation de crimes contre l’humanité  » présente dans son ouvrage négationniste les Mythes fondateurs de la politique israélienne, où il dénonce notamment l’instrumentalisation par l’État hébreux du  » mythe  » des 6 millions de juifs massacrés en vue de réparations substantielles, et à terme, d’une domination sur le monde…

Durant le procès, Roger Garaudy justifie cette analyse par ce commentaire: «  Je ne fais pas commerce des os de mes grands-parents, moi ! « . Et il a tout à fait raison. Constatation pragmatique s’il en est : Ça n’est pas un créneau très porteur, du moins sur le terrain pécuniaire. Il en va tout différemment quand on fait du « Shoah business « . La formule est de lui. Et s’il a accusé les parties civiles de s’adonner à ce genre de commerce, c’est en fait lui qui en est le principal architecte, et en l’occurrence, le seul et unique bénéficiaire.

Car le parcours de Garaudy, expert en  » Shoah business « , est à bien des égards exemplaire : Il commence par dénoncer le mythe, instrumentalisé par Israël, des 6 millions de juifs exterminés dans un ouvrage négationniste en s’assurant le soutien de l’abbé Pierre – l’homme le plus populaire de France -. Quand d’autre part il parachève sa conversion à l’islam entamé à grand bruit quelques années plutôt (L’islam étant de ce point de vue assez pratique ; il permet de jouer sur l’ambiguïté du terme sémite, et par conséquent, de se soustraire à tout soupçon d’anti-sémitisme). En professionnel de la communication, il entreprend un lobbying feutré mais non moins actif (de l’extrême droite à l’extrême gauche en passant par les milieux islamistes). Un peu de patience, et les protestations, les indignations se font entendre. Le procès pour  » contestation de crimes contre l’humanité  » pointe son nez. Roger Garaudy n’a plus qu’a se faire représenter par un avocat tant sulfureux que médiatique, Me Vergès pour ne pas le citer, et la résonance de l’affaire est garantie.

 » Raaja  » Garaudy est alors fin prêt pour des voyages somptuaires parsemés de colloques, de conférences ou d’interviews au Qatar, aux Émirats Arabes Unis, en Égypte ou en Jordanie. Il profite de soutiens d’amitié en Iran, au Chili ou même en Inde. Des campagnes de presses (notamment celles du quotidien arabe Al Kaleej) lui rapportent quelques 100 000 $ à quoi il faut ajouter un don de 50 000 $ généreusement alloué par la femme du président émirati. Les ventes de l’ouvrage révisionniste – à l’origine de cette manne -, dynamisées par la 30e Foire internationale du livre du Caire lui assure un pécule confortable. Bientot, Garaudy devient un philosophe de dimension internationale paré de prestigieuses distinctions. Incidemment, Garaudy se fait ériger un site Internet – sorte de produit dérivé – afin d’entretenir la flamme du  » Shoah business « .

Le jugement rendu, c’est le moment de faire le bilan de l’entreprise Garaudy : 100 000 $ + 50 000 $ = 150 000 $ ( soit 900 000 francs). Amende suite à la condamnation : 120 000 francs. Au total une plus value de 780 000 francs, soit 6,5 fois le prix de l’amende. Sans compter que l’obtention de cette plus value précède le rendu de la peine, qui de toute façon est repoussé à de meilleurs jours par l’appel de la décision de justice. Une prise de risque pour ainsi dire quasi-nulle qui ferait pâlir les meilleurs investisseurs financiers. Voici donc, devant nos yeux ébaillis, l’avènement d’un nouvel Eldorado morbide, un  » Shoah business  » dans les regles de l’art, impeccablement géré, rentable, dividendes médiatiques en sus.

Mais comment fait-il ? se demandera-t-on. Quel est son secret ? Y a-t-il une méthode Garaudy ? Laissons à notre expert le soin de résumer son entreprise lucrative dans une formule économique simple et explicite :  » J’ai défié la loi, j’en récolte les fruits « . Une stratégie commerciale sans état d’âme. À méditer…

Tristan Mendès France
Michael Prazan
1er mars 1998.

Les offensives du révisionnisme nippon

Les offensives du révisionnisme nippon
Date de Création: 19 Sep, 1997, 12:49 PM

L’extrême droite japonaise, malgré sa faiblesse électorale, fait beaucoup parler d’elle depuis quelques mois. Elle est à l’origine de certaines tensions qui se sont immiscées dans les relations diplomatiques entre la Chine et le Japon depuis le mois d’août, et concentre désormais son offensive autour d’une nouvelle conception de l’histoire: le Jiyushugi shikan, qu’on pourrait traduire par  » libéralisme historique « . Nobukatsu Fujiyoka, professeur à l’université de Tokyo est l’initiateur de ce révisionnisme nippon qui, accompagné d’un collectif de professeurs d’universités et d’une centaine de députés du PLD (le Parti Libéral Démocrate), use de son prestige afin de remettre en cause la responsabilité du Japon dans les crimes perpétrés par l’armée impériale au cours de la guerre de colonisation. Ishigara, auteur reconnu dans son pays, a récemment publié un livre en collaboration avec Yoshinori Kobayashi. Ce dernier, personnage atypique et inquiétant est un manga-ka (un dessinateur de BD japonaise) qui, par ses talents de satiriste et grâce à la tribune qui lui est offerte deux fois par mois dans la revue Sapio, une revue très populaire auprès de la jeunesse, prétend par exemple que ce qu’on appelle dans les manuels d’histoire les  » femmes de réconfort forcées « , ces jeunes femmes coréennes enrôlées de force dans les bordels de l’armée impériale, étaient soit venues de leur plein gré, soit amenées par des collaborateurs chinois un peu zélés. En bref, le Japon ne serait pour rien dans cette triste histoire qui laisse encore de profondes traces dans les mémoires, et particulièrement en Corée où le Japon n’a jamais présenté d’excuses officielles ou indemnisé les victimes. Mais, nous explique Kobayashi, le Japon n’a aucune raison de faire des excuses à ses voisins puisqu’il n’est pas responsable des crimes qu’on lui reproche encore. Habile et complexe, Yoshinori Kobayashi aime brouiller les cartes. Et s’il ne réfute pas complètement le terme de nationaliste, il se prétend non-raciste et antimilitariste. Le manga, nul ne peut aujourd’hui l’ignorer, est un art populaire qui brasse au Japon une clientèle très large, et les arguments de Kobayashi (étayés dans un manga intitulé  » une nouvelle déclaration d’orgueil « ) pourraient bien trouver quelque écho auprès d’une jeunesse fébrile qui ne veut à aucun prix être tenue pour responsable des crimes perpétrés par ses aînées, crimes restés tabous et frappés par la loi du silence. De son côté, à l’instar de Nobukatsu Fujiyoka, Kobayashi – accompagné d’un autre professeur d’université, Kanji Nishiyama, et d’un cortège d’intellectuels nationalistes – fait partie d’une association qui comptait 1700 adhérants en mars dernier et qui se comporte en véritable lobby dont l’objectif déclaré est le remaniement des manuels scolaires d’histoires traitant de cette période. Pourtant, à lire ces mêmes manuels où les expériences bactériologiques de l’unité 731 sont à peine évoquées, où les crimes contre l’humanité perpétrés en Mandchourie ou en Corée sont paraphrasés par d’obscurs euphémismes, on est loin des polémiques qui, en France, progressent néanmoins vers une plus grande lumière à l’égard des responsabilités du régime de Vichy.

Le 29 août 1997 la cour suprême du Japon a reconnu, pour la première fois, l’illégalité de la censure gouvernementale sur un manuel scolaire relatant les crimes de guerre de l’armée japonaise, entre les années 1937 et 1945. Et c’est le ministère de l’Éducation qui a été condamné par les juges de la cour suprême. L’affaire avait été amenée devant les tribunaux par le professeur d’histoire Saburo Ienaga qui s’oppose aux tentatives révisionnistes de Fujioka ou Kobayashi et à la complaisance dont le PLD, au pouvoir actuellement, fait preuve à leur égard. Cette sanction exemplaire vient à point nommé puisque le premier ministre Ryutaro Hashimoto se rend début septembre en Chine au cours d’une visite officielle. La Chine, qui célèbre cette année le 25e anniversaire de la normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays asiatiques.

Tristan Mendès France
Michael Prazan

Libération 19/9/97