Étrange chose que la généalogie. Certains vous lisent à travers elle, d’autres instrumentalisent des informations incomplètes pour mieux charger la barque. De quoi s’agit-il ? Voilà : on m’a trouvé un ancêtre négrier. Un ancêtre très à la mode, puisque juif et négrier (vous savez le credo des pro-dieudo). Un ancêtre exceptionnel du nom de Mendès France comme PMF. Et qui trône là comme la preuve éclatante que les juifs, quand même, c’est vrai qu’ils sont responsables de la Traite des noirs. L’occasion pour moi de rétablir un peu de vérité et de nuance. Je dénonce bien sûr ce Isaac, possesseur de deux esclaves (et pas trafiquant mais bon…) d’il y a trois siècles.
Cela dit, je souhaite que ceux qui évoquent cette histoire, le fassent correctement. D’abord, ce Isaac est issu d’une branche collatérale du 18e siècle. Et donc nous ne descendons pas de cet individu, ni n’en sommes les héritiers. Voir ce qu’en écrivait Pierre Mendès France dans cette extrait d’une correspondance de 1972.
Ensuite, cette allégation dénigrante repose sur une confusion fort opportune. Il y a en fait deux Isaac Mendès France. Le possesseur d’esclaves issu d’une branche collatérale né en 1721 (cf. ce document de la BNF) et un ancêtre de ma famille portant le même prénom, né en 1785 (cf. geneanet). Une simple homonymie exploitée jusqu’à la moelle par les antisémites trop heureux de salir la mémoire de notre famille.
Fait notable, le Isaac négrier sera l’objet d’un procès pour esclavagisme qui n’apparaît pas aussi simple que certains voudraient le faire croire.
La judéité du monsieur, figurez-vous, était bien plus grave que son crime.
Je cite Ruth Dreifuss, élue membre de l’AIDH suisse, qui, elle-même, base son intervention sur le seul livre qui évoque le sujet en profondeur : celui de Pierre Pluchon « Nègres et juifs au XVIIIe siècle », éd. Tallandier.
L’affaire Isaac Mendès
(…) C’est l’affaire Isaac Mendès France [4], du nom de son protagoniste, un lointain ancêtre de l’ancien président du Conseil. Membre de la communauté séfarade de Bordeaux (les « Juifs portugais » y étaient établis de longue date), Isaac était parti faire fortune dans la canne à sucre à Saint-Domingue. En 1775, revenant s’établir en France, notre colon y emmène deux de ses esclaves, « le Nègre Gabriel Pampy et la Négresse Amynte Julienne, originaire de Congo », comme on disait alors, âgés de 24 et 18 ans. Lassés par les mauvais traitements, tous deux s’enfuient de chez leur maître après huit mois de séjour parisien.
Ayant appris, au surplus, que le Code Noir – qui régissait l’esclavage – n’avait pas cours sur le territoire de la métropole, Pampy et Julienne assignent Mendès devant le tribunal pour faire constater leur droit à la liberté. Et que plaide leur avocat ? Non pas que l’esclavage est contraire à la « maxime de liberté du droit public de France », mais que Mendès, parce qu’il est un mauvais maître, a perdu le droit de garder ses esclaves. Et, surtout, que Mendès est un mauvais maître du seul fait qu’il est Juif. Cela suffit à le disqualifier. Nègres ou Juifs, tout ça ne vaut peut-être pas cher, mais pour l’avocat des deux Noirs (…) « le parallèle n’est pas favorable à la Nation du sieur Mendès ».
L’histoire était connue de ma famille depuis belle lurette ainsi que des milieux d’extrême droite (reprise en coeur par les pro-Dieudo).
Enfin, pour rester dans ce jeu stupide des ancêtres, je signale à mes détracteurs que le père de ma tante, Mireille Mendès France, est … Franz Fanon, le grand révolutionnaire de la cause noire. C’est moins esclavagiste comme ascendant ? 😉
Tout ça me rappelle ce beau papier co-signé dans Libération avec des amis : » Nous sommes tous des juifs noirs« .
(MAJ : juin 2020 avec des documents supplémentaires)