Le 14 Jan, 1999, 12:40 PM
Le 23 septembre dernier, la Cour européenne des droits de l’homme rendait un arrêt particulièrement inquiétant qui jusqu’à ce jour n’a entraîné de réactions officielles ni des autorités publiques, ni des milieux associatifs citoyens.L’affaire remonte au 13 juillet 1984. Dans un encart publicitaire portant le titre « Français vous avez la mémoire courte », le quotidien Le Monde publiait une pleine page dont l’objectif affiché était la réhabilitation du Maréchal Pétain. Marie-François Lehideux, ministre du maréchal de septembre 1940 à avril 1942 et Jacques Isorni, ancien avocat du barreau de Paris, défenseur de Pétain devant la Haute Cour de justice (tous deux aujourd’hui décédés), étaient à l’origine de cette initiative. Le rôle du maréchal durant la seconde guerre mondiale y était présenté comme « salutaire ». Et comme Maurice Papon il y a peu, le Maréchal y était comparé à Dreyfus, une manière de se dédouaner par avance de toute espèce d’antisémitisme et de s’associer, comme de coutume, à ce symbole républicain de l’erreur judiciaire. La sempiternelle théorie dite du « bouclier », dont il fut prouvé maintes fois qu’elle était sans fondement, était reprise pour tenter de justifier la politique du maréchal Pétain. Le Monde publia cette pleine page sans autre commentaire, avalisant, indirectement, cette apologie de Vichy.
Deux associations (l’Association nationale des Anciens Combattants de la Résistance et le Comité d’Action de la Résistance), furent les seules à s’alarmer d’une telle publication au sein du plus prestigieux quotidien français, et décidèrent de porter l’affaire devant les tribunaux. Après un parcours judiciaire long et tortueux, la Cour d’appel de Paris condamna en dernier ressort, le journal et les deux anciens collaborateurs de la politique de Vichy pour « apologie des crimes ou délits de collaboration avec l’ennemi », par un arrêt daté du 26 janvier 1990. Les associations représentant messieurs Isorni et Lehideux, après avoir épuisé tous les recours internes du Droit français, saisirent la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Contre toute attente, la Cour de Strasbourg, dans un arrêt du 23 septembre 1998, a estimé « disproportionnée, et dès lors non-nécessaire dans une société démocratique la condamnation pénale subie par les requérants » (en l’espèce un franc de dommages et intérêts ainsi que la publication du jugement dans Le Monde). Autre argument invoqué : le fait qu’ « il ne convient pas, quarante ans après, d’appliquer la même sévérité à l’évocation d’événements que dix ou vingt ans auparavant ». La Cour Européenne des Droits de l’Homme, dans son rendu, souligne également que la collaboration du maréchal Pétain avec l’occupant nazi « relève d’un débat toujours en cours entre historiens sur le déroulement et l’interprétation des événements dont il s’agit. A ce titre, elle échappe à la catégorie des faits historiques clairement établis », même si Pétain fut condamné à mort et à l’indignité nationale par arrêt de la Haute Cour de Justice du 15 aout 1945 du chef d’intelligence avec l’ennemi. Une décision qui va à l’encontre de la juridiction française en ce domaine et qui jette la suspicion sur les condamnations de Maurice Papon ou Roger Garaudy. C’est donc pour ces différents motifs que la Cour vient de condamner la France a verser aux requérants une somme de 100 000 francs de frais et dépens, pour violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ; article qui prétend garantir la liberté d’expression.
Que s’est-il passé depuis lors ? Rien ou presque. On peut comprendre qu’on ait cherché à ne pas trop ébruiter l’arrêt (par ailleurs disponible in extenso sur le site Internet de la Cour de Strasbourg : www.dhcour.coe.fr/fr/LEHIDEUX%20FR.html) afin d’éviter toute récupération politicienne ou idéologique, soit par les anti-européens (Amsterdam oblige), soit par les négationnistes et autres nostalgiques de l’Etat Français (trop heureux de voir une instance soutenir l’un des leurs). Mais se taire sur un tel sujet n’atténue en rien le trouble provoqué à l’issu de la décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et n’empêche en rien la satisfaction des milieux d’extrême droite pour qui l’affaire fait jurisprudence. Il ne fait dès lors aucun doute qu’à terme, d’autres associations (cultivant la mémoire qui de Laval, qui de Darquier de Pellepoix), sous couvert de liberté d’expression, tenteront de contourner un appareil juridique français contraignant (lois Pleven, Fabius, Gayssot) en saisissant la Cour Européenne de Strasbourg, ouvrant toute grande la porte du négationnisme au mépris de toute éthique historique.
Tristan Mendès France
Michaël Prazan
14-1-99