« Notre choix de la mort est un acte de liberté »

« Notre choix de la mort est un acte de liberté »
Roger et Claire Quilliot
Date de Création: 26 Aug, 1998, 12:59 PM
Alors que Montherlant voyait dans le suicide la maîtrise suprême de sa destinée, le droit positif français, síil ne sanctionne pas le fait de se donner la mort, condamne celui qui donnerait suite à cette demande. Líeuthanasie (littéralement la recherche díune « bonne mort », díune mort douce) est au jour díaujourdíhui illégal. Idem pour líorthothanasie ou euthanasie passive qui consisterait à admettre le renoncement díun individu même par avance à tous soins destinés à prolonger la vie lorsque la médecine ne laisse aucune chance de guérison. Mais pourquoi donc refuse-t-on la légalisation de líeuthanasie ? A-t-on peur que le corps médical français soudainement débridé laisse libre cours à ses penchants sadiques et pervers en exterminant sans quíils le souhaitent tous vieillards pénétrant l’hôpital ? A-t-on peur que des intérêts financiers occultes viennent distraire le docteur de son rôle de soignant ? Non, ce serait à la fois mépriser le corps médical dans son travail et faire preuve díune paranoïa conspirationniste (bien clinique celle-là).

Síil y a blocage sur la question, cíest le résultat díune culture. Et plus précisément díune culture catholique qui a depuis toujours magnifié la souffrance, celle de Jésus en croix díabord, celle díun petit vieux mourant sous chimio, ensuite. Líévêque auxiliaire de Paris, Mgr André Vingt-Trois, semble préférer mourir ou voir mourir ses proches dans des convulsions infâmes, la bave aux lèvres et la diarrhée parce quíil « est de mauvaise foi de partir de cet impératif de soulagement pour introduire subtilement la liberté de mettre à mort ». Cela signifie-t-il que líancien ministre socialiste Roger Quilliot est de mauvaise foi lorsquíil écrit dans sa lettre testament « Notre choix de la mort est un acte de liberté » ? Ce serait insulter sa mémoire. Si certains jusquíau-boutistes veulent expérimenter les frontières de la douleur au prétexte que cette dernière aurait une valeur rédemptrice, quíils le fassent. Mais pour líamour de dieu, quíils ne líimposent pas aux autres.

La culture catholique française explique pour partie la frilosité des opinions face à ce cas de conscience quíest líeuthanasie. Pourquoi chercherait-on à justifier les actes de líinfirmière, Christine Malèvre, en évoquant le fait quíelle ait « disjoncté », quíelle ait eu un trauma expliquant son dégoût de la souffrance díautrui ? Est-il aujourdíhui impossible de dire en France, quíelle a été touchée par la grâce, quíelle est une sainte moderne qui a sauvé des vies de líenfer parce que líenfer est ici bas et quíil prend la forme de la douleur physique ?

Cíest effectivement aujourdíhui impossible. Dire quíil est bien de mourir comme on veut, que ce soit par sa main propre ou celle díun autre pourvu quíon le souhaite, cíest síexposer à la loi du 31 décembre 1987 punissant la « provocation au suicide tenté ou consommé par autrui ». On peut espérer de tout coeur que Roger-Gérard Schwartzenberg sera écouté par le gouvernement et quíun véritable débat sur líeuthanasie síouvrira, loin díidéologies díun autre temps. Après la légalisation de líavortement, la suppression de la peine de mort, un autre saut civilisationnel reste à faire : légaliser líeuthanasie.

Tristan MENDèS FRANCE
Michaël PRAZAN
Prochoix n°7 aout-septembre 98