" Le débloc-notes " de Max Clos dans le Figaro

Publié in L’événement du jeudi, le 23 avril 98

Comme son nom l’indique le « Bloc-notes de la semaine » est un rendez-vous hebdomadaire, concocté par le responsable de la page « Opinions » du Figaro, Max Clos. Cette rencontre entre le chroniqueur et ses lecteurs est l’occasion de quelques mises au point sur les événements de la semaine, ou de libres discussions, dès que le sujet s’y prête. Convivialité ne signifie toute fois pas désordre. Le « bloc-notes » obéit ainsi à certaines règles :
D’abord la liberté d’expression doit être respectée :  » La page des « Opinions » et spécialement le « Courrier » se veulent un espace de liberté, permettant à tous les lecteurs de s’exprimer, les partisans du FN aussi bien que ses adversaires  » [13/2/98]. Il faut ensuite éviter tout manichéisme : Si  » le Courrier n’est pas – et ne deviendra pas – une machine de propagande au service du Front national  » [13/2/98], il n’empêche que  » Le FN est un parti légal. Ses partisans ont les mêmes droits que n’importe quel citoyen. Ses élus ont la même légitimité que ceux des autres formations  » [13/3/98]. Enfin, il faut se tenir au verdict des lecteurs : À la question de savoir si oui ou non les partis de droite doivent faire alliance avec le FN, Max Clos rappelle que  » Le « Courrier des lecteurs » a reçu plus de 500 lettres. La quasi-unanimité de nos correspondants se prononcent [pour des accords]  » [20/3/98]. C’est le suffrage des lecteurs. L’alliance est d’autant plus envisageable que contrairement à d’autres formations politiques,  » le FN n’a jamais été au service d’une puissance étrangère  » [20/3/98] et que  » dans le programme minimum proposé à la droite modérée par le FN, on ne voit pas ce qui pourrait être considéré comme contraire aux « valeurs républicaines »  » [20/3/98]. Les convictions de Max Clos ne sont pas toujours exprimées frontalement. Il utilise souvent le propos de ses lecteurs pour donner son point de vue, quand il ne reprend pas à son compte la phrase de tel ou tel. Il y a cependant des moments où l’équivoque n’a plus sa place et où le chroniqueur exprime clairement ses positions : Durant le procès Papon, c’est en faisant une apologie d’Henri Amouroux qu’il témoigne son soutien à l’ancien préfet de Gironde [10/10/97] ; Le pardon des évêques de France envers la communauté juive, en octobre dernier, est à ses yeux  » une regrettable entreprise de déstabilisation de la France  » [10/10/97] ; Et, lorsqu’on commémore les ratonades du 17 octobre 61, le chroniqueur fait quelques mises au point : d’abord il justifie  » l’affrontement [durant la manifestation en précisant qu’il était] voulu par le FLN « , il ajoute ensuite que  » les français sont sommés de se livrer à un nouvel acte de « repentance » pour avoir réprimé une manifestation organisée par des terroristes installés sur leur territoire  » [24/10/97].

Il arrive également à Max Clos de polémiquer directement avec ses lecteurs quand, par exemple, il laisse passer des courriers défavorables à l’exécution de Karla Tuker. Ce « laxisme » lui vaut un déluge de protestations émanant des partisans de la peine de mort. Ses lecteurs lui adressent alors quelques vilains mots, notamment celui-ci :  » Vous êtes immonde, je ne lirai plus jamais le Figaro  » [13/2/98]. Exemple à suivre ?

Tristan Mendès France
Michaël Prazan
L’événement du jeudi, 23 avril 98

Radio Courtoisie, une édition radiophonique de l'Action Française ?

Radio Courtoisie, une édition radiophonique de l’Action Française ?
Date de Création: 26 Jun, 1997, 12:44 PM

Radio Courtoisie, une édition radiophonique de l’Action Française ? Actuellement dans le colimateur du C.S.A., Radio Courtoisie, antichambre des idées de l’extrême droite, gagne en notoriété et s’offre le projet d’une diffusion nationale.

Radio Courtoisie, une radio encore essentiellement parisienne, fêtera son 10e anniversaire le 07 novembre prochain. Créée par Jean ferré, ancien chroniqueur au Figaro-Magazine, la radio a pour vocation – et c’est écrit dans l’acte statutaire de l’association – le rassemblement de toutes les familles de droite. Alternant musique classique et longues émissions de débats (souvent 3 heures), la radio se présente comme un France-Culture d’opinion. C’est vrai dans les grandes lignes. Quand on s’intéresse aux détails, par contre, les choses sont plus compliquées. Commençons par nous intéresser aux principaux animateurs de la radio (et laissons de côté les émissions consacrées à l’artisanat ou à la langue française). Jean Ferré, le président de la radio anime une émission de débats le lundi en soirée. Antidémocrate, monarchiste, franquiste, ancien de la coloniale, Jean Ferré, symbole de la radio et du petit côté  » Résistance  » à la  » pensée unique  » qu’elle se donne, annonce d’entrée la couleur. Serges de Beketch, anar de droite, très proche du Front National en compagnie duquel il fit un bout de chemin comme chargé de communication auprès du maire FN de Toulon, est un pilier de Radio Courtoisie, et son  » Libre-Journal  » du mercredi soir est souvent consacré à une éminence du parti de Le Pen (quand lui-même n’est pas invité). Claude Giraud, la femme du groupe, anime elle aussi des  » libres-journaux  » sur Courtoisie. Catholique proche de christine boutin avec laquelle elle partage la lutte contre l’IVG, elle dirige également la rédaction de Monde et Vie, bimensuel catholique et national, proche des intégristes du regretté Mgr Lefebvre. Ces trois figures emblématiques révèlent en fait les principales tendances où  » familles  » qui constituent le coeur idéologique de la radio.

 » Rassembler les droites  » ne signifie ni ne sous-entend ressouder les groupes parlementaires que sont l’UDF et le RPR, cela veut dire créer une synergie entre les tendances minoritaires les plus à droites de la culture française. Tendances qui sont : la tradition monarchiste héritière de la contre-révolution, les nationalismes pétainiste ou Doriotiste, le catholicisme le plus dirigiste, celui-là même qui manipule les commandos anti-IVG, et se déclare lutter contre toute forme de pornographie. Cette communion des droites avec laquelle jongle depuis des années le Front National sans trop savoir comment s’y prendre, Radio Courtoisie est parvenue à la faire. Son inspiration ? La même qui anime Maurras quand il crée l’Action Française à la fin du siècle dernier : mobiliser les élites. Le parallèle entre le projet de Maurras et celui de Radio Courtoisie est loin d’être absurde. Non seulement, comme héritier de Barrès, Maurras veut rassembler certaines forces antagonistes qui partagent néanmoins une même idée de la nation, mais il veut pour cela mobiliser académiciens, historiens, journalistes, publicistes, afin de créer un pôle dominant capable de mettre en branle la République et cela par le moyen… d’une revue. Avec Radio Courtoisie, seul le média a changé. Le reste a été conservé à l’identique. Ajoutons que, pour Jean Ferré et ses acolytes, Maurras demeure la principale référence idéologique.

Radio Courtoisie, véritable super club de réflexion qui associe volontiers les auditeurs à sa dialectique, reçoit ainsi sur ces ondes les personnalités les plus éminentes des droites réactionnaires. S’y expriment volontiers des lettrés comme Jean Tullard (académicien) ou Jean Dutour (académicien), des historiens renommés ( François-Georges Dreyfus, Pierre Chaunu ), des journalistes tels que Jean Claude Valla (Minute) ou Jean Montaldo (écrivain-journaliste). Des politiques soutiennent également la radio (environ une trentaine de député) ou y sont régulièrement invités, au nombre desquels on peut citer : Alain Griotteray (UDF), Christine Boutin (UDF-FD), Bruno Golnisch (FN), Bernard Antony (FN) ou Jean-Marie Le Pen en personne.

Dernière particularité, et non la moindre que partagent Radio Courtoisie avec l’idéologie maurrassienne : l’antisémitisme. La haine du juif et l’idée du complot cimentent aujourd’hui comme hier les éléments composites de l’extrême droite, car comme le disait Maurras :  » Tout paraît impossible ou affreusement difficile sans cette providence de l’antisémitisme. Par elle, tout s’arrange, s’aplanit et se simplifie. Si l’on était antisémite par volonté patriotique, on le deviendrait par simple sentiment de l’opportunité « . Pour ceux qui en douteraient, citons quelques dérapages notoires entendus sur les ondes. Jean Ferré pense, par exemple, qu’en ce qui concerne internet, le négationnisme est une  » opinion  » qui doit exister au nom de la liberté d’expression. Serges de Beketch, entre deux calembours à connotations antisémites, relativise fréquemment l’ampleur du génocide juif. Il a dit récemment  » qu’en France, en 1943, on ne traitait pas les juifs comme on traite aujourd’hui les gens du Front National. Evidemment, on les arrêtait, on les déportait… En Allemagne, il y a eu des choses, mais en France, je n’ai pas souvenir qu’il y ait eu de pogromes comme on en fait actuellement aux gens du FN « . Le 20 mars dernier, Pierre de Villemarest, co-animateur du Libre Journal de Claude Giraud, dont les opinions antisémites ou négationnistes sont assez bien connues des fidèles, s’est laissé aller (comme c’était arrivé en 1992) à prononcer une phrase qui niait l’existence des chambres à gaz. L’horreur de l’extermination se résume à  » deux ou trois essais  » de zyklon B. Cette phrase malencontreuse (effacée des rediffusions…) a enfin éveillée l’attention du CSA (Voir Libération du 06 avril). En 1992, Pierre de Villemarest remettait déjà en cause le nombre des juifs victimes du génocide, et la même année, Jacques Toubon, à l’époque ministre de la culture, écrivait:  » Radio courtoisie doit demeurer lieu de non conformisme, de pensée vigoureuse, et d’expression nationale et ainsi rencontrer un public […] avide de justice […], à l’écoute de la sincérité « . L’actuel garde des sceaux peut-il encore souscrire à cela ?

Tristan Mendès France et Michael Prazan
L’Arche juin 97