Les offensives du révisionnisme nippon
Date de Création: 19 Sep, 1997, 12:49 PM
L’extrême droite japonaise, malgré sa faiblesse électorale, fait beaucoup parler d’elle depuis quelques mois. Elle est à l’origine de certaines tensions qui se sont immiscées dans les relations diplomatiques entre la Chine et le Japon depuis le mois d’août, et concentre désormais son offensive autour d’une nouvelle conception de l’histoire: le Jiyushugi shikan, qu’on pourrait traduire par » libéralisme historique « . Nobukatsu Fujiyoka, professeur à l’université de Tokyo est l’initiateur de ce révisionnisme nippon qui, accompagné d’un collectif de professeurs d’universités et d’une centaine de députés du PLD (le Parti Libéral Démocrate), use de son prestige afin de remettre en cause la responsabilité du Japon dans les crimes perpétrés par l’armée impériale au cours de la guerre de colonisation. Ishigara, auteur reconnu dans son pays, a récemment publié un livre en collaboration avec Yoshinori Kobayashi. Ce dernier, personnage atypique et inquiétant est un manga-ka (un dessinateur de BD japonaise) qui, par ses talents de satiriste et grâce à la tribune qui lui est offerte deux fois par mois dans la revue Sapio, une revue très populaire auprès de la jeunesse, prétend par exemple que ce qu’on appelle dans les manuels d’histoire les » femmes de réconfort forcées « , ces jeunes femmes coréennes enrôlées de force dans les bordels de l’armée impériale, étaient soit venues de leur plein gré, soit amenées par des collaborateurs chinois un peu zélés. En bref, le Japon ne serait pour rien dans cette triste histoire qui laisse encore de profondes traces dans les mémoires, et particulièrement en Corée où le Japon n’a jamais présenté d’excuses officielles ou indemnisé les victimes. Mais, nous explique Kobayashi, le Japon n’a aucune raison de faire des excuses à ses voisins puisqu’il n’est pas responsable des crimes qu’on lui reproche encore. Habile et complexe, Yoshinori Kobayashi aime brouiller les cartes. Et s’il ne réfute pas complètement le terme de nationaliste, il se prétend non-raciste et antimilitariste. Le manga, nul ne peut aujourd’hui l’ignorer, est un art populaire qui brasse au Japon une clientèle très large, et les arguments de Kobayashi (étayés dans un manga intitulé » une nouvelle déclaration d’orgueil « ) pourraient bien trouver quelque écho auprès d’une jeunesse fébrile qui ne veut à aucun prix être tenue pour responsable des crimes perpétrés par ses aînées, crimes restés tabous et frappés par la loi du silence. De son côté, à l’instar de Nobukatsu Fujiyoka, Kobayashi – accompagné d’un autre professeur d’université, Kanji Nishiyama, et d’un cortège d’intellectuels nationalistes – fait partie d’une association qui comptait 1700 adhérants en mars dernier et qui se comporte en véritable lobby dont l’objectif déclaré est le remaniement des manuels scolaires d’histoires traitant de cette période. Pourtant, à lire ces mêmes manuels où les expériences bactériologiques de l’unité 731 sont à peine évoquées, où les crimes contre l’humanité perpétrés en Mandchourie ou en Corée sont paraphrasés par d’obscurs euphémismes, on est loin des polémiques qui, en France, progressent néanmoins vers une plus grande lumière à l’égard des responsabilités du régime de Vichy.
Le 29 août 1997 la cour suprême du Japon a reconnu, pour la première fois, l’illégalité de la censure gouvernementale sur un manuel scolaire relatant les crimes de guerre de l’armée japonaise, entre les années 1937 et 1945. Et c’est le ministère de l’Éducation qui a été condamné par les juges de la cour suprême. L’affaire avait été amenée devant les tribunaux par le professeur d’histoire Saburo Ienaga qui s’oppose aux tentatives révisionnistes de Fujioka ou Kobayashi et à la complaisance dont le PLD, au pouvoir actuellement, fait preuve à leur égard. Cette sanction exemplaire vient à point nommé puisque le premier ministre Ryutaro Hashimoto se rend début septembre en Chine au cours d’une visite officielle. La Chine, qui célèbre cette année le 25e anniversaire de la normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays asiatiques.
Tristan Mendès France
Michael Prazan
Libération 19/9/97