Lorsque Jacques Chirac a reçu le Pape Jean-Paul II à l’Elysée, ce jeudi 21 août, nul n’a osé évoquer la visite privée que le souverain pontife avait prévue de faire le lendemain à son ami le défunt professeur Lejeune. Inutile de rappeler qui était le professeur Lejeune; ses découvertes sur la trisomie 21 mais aussi ses convictions contre l’avortement sont aujourd’hui connues de tous. Si le président n’avait sans doute aucune envie d’anticiper une polémique, rappelons cependant qu’il existe une association – qui a pris le statut de Fondation reconnue d’utilité publique par décret le 20 mars 1996 – entièrement consacrée à la mémoire de Jérôme Lejeune et qui a pour parrain officiel Jacques Chirac lui-même. Jean-Paul II, se recueillant à titre privé sur la tombe du professeur Lejeune, c’est peut-être une affaire d’amitié ou d’ingérence, peu importe, mais que le président de la République parraine une association ouvertement hostile à l’avortement – lui qui avait en son temps soutenu la loi Veil – a de quoi surprendre, même si ce parrainage n’était qu’un hommage rendu au généticien qui avait soigné sa fille alors en pleine dépression.
Cette » Association des amis du professeur Lejeune » est présidée par Jean Foyer, ancien garde des sceaux puis ministre de la Santé, également président des juristes pour le respect de la vie. Parmi les administrateurs fondateurs de l’association, la fille du professeur, Clara Lejeune (qui dirigea le cabinet de Colette Codaccioni) et son mari, Hervé Gaymard, par deux fois secrétaire d’Etat. Il est également l’ancien directeur de la communication de Jacques Chirac.
Personne ne souhaite bafouer la mémoire de Jérôme Lejeune, personne ne peut remettre en question sa contribution à la science ni même revenir sur ce que furent ses convictions personnelles. Il n’en reste pas moins que ces mêmes convictions sont à l’origine d’une multitude d’associations anti-avortement telles que « pour le respect de la vie », « Laissez-les vivre », « Les femmes et les enfants d’abord », « Secours aux futurs mères », ou « SOS tout-Petits », le commando intégriste de Xavier Dor qui voue un véritable culte au professeur Lejeune. Cette galaxie d’associations aux procédés bien peu catholiques sont toutes liées, de près ou de loin, à l’Eglise Saint Nicolas du Chardonnet, le fief de Monseigneur Lefebvre… autrefois répudié par Rome ! Cherchez l’erreur…
Bref, la mémoire du professeur est entre de bonnes mains. Et si l’on en doute encore, on peut se remémorer certains passages du discours que prononça Lucien Israël – le fils spirituel de Jérôme Lejeune – lorsqu’il reprit la chaire du généticien à l’honorable Académie des sciences Morales et politiques: « Il avait accepté et intériorisé dans sa plénitude la loi divine, l’avait placée au dessus de toute celles que se donne l’homme… Et pour lui , ainsi que pour tout croyant , la vie commence lors de la conception et n’admet qu’une fin naturelle […] C’est au nom de ses convictions intimes que Jérôme Lejeune s’est battu sans relâche contre l’avortement, contre l’euthanasie – cette autre revendication folle des biens portants hédonistes « . Lucien Israël est aussi professeur à la faculté de médecine et titulaire de la chaire de cancérologie de Paris XIII.
Jacques Chirac ayant soutenu la loi Veil se trouve dans une position délicate. Son appartenance à » l’association [anti-IVG] des ami du professeur Lejeune » ne va pas l’aider dans la polémique qui s’installe. Gageons qu’il ne fait que reprendre cette phrase extraite des Evangiles et qu’on a pu lire sur les affiches du métro parisien cette dernière semaine : » aime ton ennemi « .
Tristan Mendès France
Michael Prazan
Libération 27/6/97