"Notre gestapo de l'Algérie française "

« Notre gestapo de l’Algérie française « 
Date de Création: 20 Oct, 1997, 12:50 PM

À l’heure où l’on juge Maurice Papon pour ses crimes contre l’humanité durant la seconde guerre mondiale, à l’heure où l’on espère voir se lever le drap de l’oubli sur ce que furent les responsabilités de notre nation (et pas seulement de l’État français) durant les heures sombres, à l’heure où l’Église de France fait son timide mea culpa pour ses positions entre 39 et 45, il est nécessaire en ce 36 ème anniversaire du massacre des algériens du 17 octobre 61 de questionner notre pays sur un autre de ses trous noirs historiques qu’était la Guerre d’Algérie. On se rappelle peut-être de la célèbre affaire Audin, ce professeur de mathématiques à l’université d’Alger qui, accusé d’affinité avec le FLN, fut arrêté et torturé par les autorités françaises. Cette affaire mit en lumière la responsabilité directe de trois ministres du gouvernement Guy Mollet en 56-57. Dénoncées par le FLN et par des intellectuels français comme un système répressif dignes des méthodes nazis, ces pratiques furent niées par le gouvernement Mollet. Elles furent pourtant reconnues dès cette époque, par des acteurs et des témoins de la barbarie, et finalement justifiées par le général Massu en personne en 1971 comme « un moindre mal ».
Y a-t-il eu une gestapo française durant la guerre d’Algérie ? Le 13 janvier 1955 dans un article titré « Votre gestapo d’Algérie », Claude Bourdet, appuyé en cela par François Mauriac, s’en prend violemment aux tortures pratiquées ça et là par les autorités françaises instituées. Depuis le début des agitations fellaghas, de nombreux témoignages concordant rapportent certaines pratiques telles que le supplice de la baignoire, le gonflage à l’eau par l’anus, le courant électrique sur les muqueuses, les aisselles ou la colonne vertébrale…
Ce triste anniversaire d’octobre 61, où sous la responsabilité de Maurice Papon des centaines d’algériens furent noyés dans la Seine, sera peut-être l’occasion de se rappeler que l’histoire de France n’est pas un monument que l’on doit vénérer, mais un parcours qu’il faut questionner – n’en déplaise à Philippe Séguin -. La France de Vichy n’est pas si loin de la France de la guerre d’Algérie : Maurice Papon symbolise bien cette continuité puisque du statut de secrétaire général de la préfecture de Gironde de 42 à 44, à celui de préfet de police de Paris pendant la guerre d’Algérie, il n’y a qu’un pas franchi allègrement jusqu’au poste de ministre sous Giscard d’Estaing – un long fleuve tranquille, somme toute -. Espérons que la question écrite posée à monsieur Jospin par la député Véronique Carrion-Bastok, il y a quelques jours à peine, sur la reconnaissance de la responsabilité de l’État français durant la crise d’octobre, sera le moment privilégié d’une prise de conscience plus large qui lèvera un jour peut-être le flou véritablement politique qui règne encore sur l’ampleur des exactions des autorités françaises durant toute la guerre d’Algérie.

Tristan Mendès France
et Michael Prazan
Marianne 20/26 octobre 97

Radio Courtoisie, une édition radiophonique de l'Action Française ?

Radio Courtoisie, une édition radiophonique de l’Action Française ?
Date de Création: 26 Jun, 1997, 12:44 PM

Radio Courtoisie, une édition radiophonique de l’Action Française ? Actuellement dans le colimateur du C.S.A., Radio Courtoisie, antichambre des idées de l’extrême droite, gagne en notoriété et s’offre le projet d’une diffusion nationale.

Radio Courtoisie, une radio encore essentiellement parisienne, fêtera son 10e anniversaire le 07 novembre prochain. Créée par Jean ferré, ancien chroniqueur au Figaro-Magazine, la radio a pour vocation – et c’est écrit dans l’acte statutaire de l’association – le rassemblement de toutes les familles de droite. Alternant musique classique et longues émissions de débats (souvent 3 heures), la radio se présente comme un France-Culture d’opinion. C’est vrai dans les grandes lignes. Quand on s’intéresse aux détails, par contre, les choses sont plus compliquées. Commençons par nous intéresser aux principaux animateurs de la radio (et laissons de côté les émissions consacrées à l’artisanat ou à la langue française). Jean Ferré, le président de la radio anime une émission de débats le lundi en soirée. Antidémocrate, monarchiste, franquiste, ancien de la coloniale, Jean Ferré, symbole de la radio et du petit côté  » Résistance  » à la  » pensée unique  » qu’elle se donne, annonce d’entrée la couleur. Serges de Beketch, anar de droite, très proche du Front National en compagnie duquel il fit un bout de chemin comme chargé de communication auprès du maire FN de Toulon, est un pilier de Radio Courtoisie, et son  » Libre-Journal  » du mercredi soir est souvent consacré à une éminence du parti de Le Pen (quand lui-même n’est pas invité). Claude Giraud, la femme du groupe, anime elle aussi des  » libres-journaux  » sur Courtoisie. Catholique proche de christine boutin avec laquelle elle partage la lutte contre l’IVG, elle dirige également la rédaction de Monde et Vie, bimensuel catholique et national, proche des intégristes du regretté Mgr Lefebvre. Ces trois figures emblématiques révèlent en fait les principales tendances où  » familles  » qui constituent le coeur idéologique de la radio.

 » Rassembler les droites  » ne signifie ni ne sous-entend ressouder les groupes parlementaires que sont l’UDF et le RPR, cela veut dire créer une synergie entre les tendances minoritaires les plus à droites de la culture française. Tendances qui sont : la tradition monarchiste héritière de la contre-révolution, les nationalismes pétainiste ou Doriotiste, le catholicisme le plus dirigiste, celui-là même qui manipule les commandos anti-IVG, et se déclare lutter contre toute forme de pornographie. Cette communion des droites avec laquelle jongle depuis des années le Front National sans trop savoir comment s’y prendre, Radio Courtoisie est parvenue à la faire. Son inspiration ? La même qui anime Maurras quand il crée l’Action Française à la fin du siècle dernier : mobiliser les élites. Le parallèle entre le projet de Maurras et celui de Radio Courtoisie est loin d’être absurde. Non seulement, comme héritier de Barrès, Maurras veut rassembler certaines forces antagonistes qui partagent néanmoins une même idée de la nation, mais il veut pour cela mobiliser académiciens, historiens, journalistes, publicistes, afin de créer un pôle dominant capable de mettre en branle la République et cela par le moyen… d’une revue. Avec Radio Courtoisie, seul le média a changé. Le reste a été conservé à l’identique. Ajoutons que, pour Jean Ferré et ses acolytes, Maurras demeure la principale référence idéologique.

Radio Courtoisie, véritable super club de réflexion qui associe volontiers les auditeurs à sa dialectique, reçoit ainsi sur ces ondes les personnalités les plus éminentes des droites réactionnaires. S’y expriment volontiers des lettrés comme Jean Tullard (académicien) ou Jean Dutour (académicien), des historiens renommés ( François-Georges Dreyfus, Pierre Chaunu ), des journalistes tels que Jean Claude Valla (Minute) ou Jean Montaldo (écrivain-journaliste). Des politiques soutiennent également la radio (environ une trentaine de député) ou y sont régulièrement invités, au nombre desquels on peut citer : Alain Griotteray (UDF), Christine Boutin (UDF-FD), Bruno Golnisch (FN), Bernard Antony (FN) ou Jean-Marie Le Pen en personne.

Dernière particularité, et non la moindre que partagent Radio Courtoisie avec l’idéologie maurrassienne : l’antisémitisme. La haine du juif et l’idée du complot cimentent aujourd’hui comme hier les éléments composites de l’extrême droite, car comme le disait Maurras :  » Tout paraît impossible ou affreusement difficile sans cette providence de l’antisémitisme. Par elle, tout s’arrange, s’aplanit et se simplifie. Si l’on était antisémite par volonté patriotique, on le deviendrait par simple sentiment de l’opportunité « . Pour ceux qui en douteraient, citons quelques dérapages notoires entendus sur les ondes. Jean Ferré pense, par exemple, qu’en ce qui concerne internet, le négationnisme est une  » opinion  » qui doit exister au nom de la liberté d’expression. Serges de Beketch, entre deux calembours à connotations antisémites, relativise fréquemment l’ampleur du génocide juif. Il a dit récemment  » qu’en France, en 1943, on ne traitait pas les juifs comme on traite aujourd’hui les gens du Front National. Evidemment, on les arrêtait, on les déportait… En Allemagne, il y a eu des choses, mais en France, je n’ai pas souvenir qu’il y ait eu de pogromes comme on en fait actuellement aux gens du FN « . Le 20 mars dernier, Pierre de Villemarest, co-animateur du Libre Journal de Claude Giraud, dont les opinions antisémites ou négationnistes sont assez bien connues des fidèles, s’est laissé aller (comme c’était arrivé en 1992) à prononcer une phrase qui niait l’existence des chambres à gaz. L’horreur de l’extermination se résume à  » deux ou trois essais  » de zyklon B. Cette phrase malencontreuse (effacée des rediffusions…) a enfin éveillée l’attention du CSA (Voir Libération du 06 avril). En 1992, Pierre de Villemarest remettait déjà en cause le nombre des juifs victimes du génocide, et la même année, Jacques Toubon, à l’époque ministre de la culture, écrivait:  » Radio courtoisie doit demeurer lieu de non conformisme, de pensée vigoureuse, et d’expression nationale et ainsi rencontrer un public […] avide de justice […], à l’écoute de la sincérité « . L’actuel garde des sceaux peut-il encore souscrire à cela ?

Tristan Mendès France et Michael Prazan
L’Arche juin 97

Qui se cache derrière Radio Courtoisie ?

Qui se cache derrière Radio Courtoisie ?
Date de Création: 17 Apr, 1997, 12:46 PM

Jacques Toubon, ministre de la justice devra trancher et décider du sort de la radio parisienne, proche de l’extrême droite. En 1992, Jacques Toubon, alors ministre de la culture, déclarait : « Radio courtoisie doit demeurer lieu de non conformisme, de pensée vigoureuse, d’expression nationale, et ainsi rencontrer un public […] avide de justice […], à l’écoute de la sincérité « . Aujourd’hui Garde des Sceaux, Monsieur Toubon a été saisi par le CSA, en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale, à la suite des propos négationnistes tenus le 20 mars à l’antenne de RC par Pierre de Villemarest, co-animateur d’une émission de débats. Jacques Toubon sait-il qu’en 92, alors même qu’il apportait son soutien à la radio parisienne, Pierre de Villemarest déclarait le 16 octobre de la même année: « Il y a beaucoup plus de non-juifs massacrés et morts en déportation que de juifs « , accréditant implicitement les thèses négationnistes ?
Il y a une centaine d’année, Maurras mettait sur pied son grand projet de refonte des droites en France, de toutes ces droites qui, à l’époque, avaient la particularité d’être foncièrement antirépublicaines, et antisémites. Qu’est-ce au juste que ces droites qu’on a trop vite tendance à ranger (comme le signale d’ailleurs à juste titre Jean Ferré, président de Radio Courtoisie) dans la nébuleuse de ce qu’on appelle  » extrême droite  » ? L’Action Française de Maurras avait pour ambition de réunir en fait des monarchistes issus de la Contre-Révolution (comme c’est le cas de son créateur), des fanatiques d’un catholicisme pur et dur opposé aux libertés républicaines, des antisémites de tous bords qui se mêlerons plus tard aux groupuscules fascistes annonçant les pires heures du Vichysme et de la collaboration. Pourquoi ce préambule, nous direz-vous ? Eh bien parce que, si l’on s’intéresse aujourd’hui aux figures dominantes qui animent les émissions intitulées  » Libre-journaux  » de Radio-Courtoisie (Dont le nom rappelle la  » Libre Parole  » de Drumont, auteur de la France Juive), on s’aperçoit que ces tendances qui sont à l’origine de l’Action Française et, au-delà, du fascisme en France, on les retrouve encore aujourd’hui au sein de la radio. Exemples: Antidémocrate, monarchiste, franquiste, ancien de la coloniale, Jean Ferré, symbole de la radio et du petit côté  » Résistance  » à la  » pensée unique  » qu’elle se donne, annonce d’entrée la couleur. Serge de Beketch, anar de droite, ancien chargé de communication à la mairie FN de Toulon, est un pilier de Radio Courtoisie, et son  » Libre-Journal » du mercredi soir est souvent consacré à une éminence du parti de Le Pen (quand lui-même n’est pas invité). Claude Giraud anime elle aussi un  » Libre Journal « . Catholique proche de Christine Boutin avec laquelle elle partage la lutte contre l’IVG, elle dirige également la rédaction de Monde et Vie bimensuel catholique et national, proche des intégristes du regretté Mgr Lefebvre. C’est dans cette dernière émission d’ailleurs, que Pierre de Villemarest a prononcé, le 20 mars dernier, les propos négationnistes qui ont enfin attiré l’attention du CSA. L’ancien ministre de la culture, Jacques Toubon, est-il au courant de ces filiations idéologiques. ? Comme l’Action Française, Radio Courtoisie mise tout sur les élites. Maurras qui souhaitait réunir un forum de personnalités issues du gratin de la société civile et politique (universitaires, académiciens, journalistes, éditeurs, écrivains, etc…) capable de créer un pôle dominant suffisamment puissant pour écraser les intellectuels nés de l’Affaire Dreyfus et mettre en branle la République, trouve en Radio Courtoisie une digne héritière. En effet, y sont régulièrement invités, des académiciens comme Jean Tullard ou Jean Dutour, des historiens renommés ( François-Georges Dreyfus, Pierre Chaunu ), des journalistes tels que Jean Claude Valla (Minute) ou Jean Montaldo (écrivain-journaliste), ou encore des avocats dont les causes sont souvent discutables (Maîtres Vergès, Varaut, Wagner ou Trémollet de Villers). Des politiques soutiennent également la radio (environ une trentaine de député) ou y sont régulièrement invités, au nombre desquels on peut citer : Alain Griotteray (UDF), Christine Boutin (UDF-FD), Bruno Golnisch (FN), Bernard Antony (FN) ou Jean-Marie Le Pen en personne. De plus, le projet de Maurras s’appuyait sur un média : La revue de l’Action Française. Avec Radio Courtoisie, c’est seulement la nature du média qui change. L’actuel ministre de la justice en a-t-il conscience aujourd’hui ? Dernière particularité, et non la moindre, que partage Radio Courtoisie avec l’idéologie maurrassienne : l’antisémitisme. La haine du juif et l’idée du complot cimentent aujourd’hui comme hier les éléments composites de l’extrême droite, car comme le disait Maurras :  » Tout paraît impossible ou affreusement difficile sans cette providence de l’antisémitisme. Par elle, tout s’arrange, s’aplanit et se simplifie. Si l’on n’était antisémite par volonté patriotique, on le deviendrait par simple sentiment de l’opportunité « . Pour Jean Ferré, les attaques dont fait l’objet sa radio sont organisées dans l’ombre par de mystérieuses « officines » dont l’objectif serait le muselage de Radio Courtoisie. Ces « officines » rappellent inévitablement les vieilles théories conspirationnistes héritées, entre autre, du Protocole des Sages de Sion. Serge de Beketch, entre deux calembours à connotations antisémites, relativise fréquemment l’ampleur du génocide juif. Il a affirmé le 20 novembre 1996 : « qu’en France, en 1943, on ne traitait pas les juifs comme on traite aujourd’hui les gens du Front National. Evidemment, on les arrêtait, on les déportait… En Allemagne, il y a eu des choses, mais en France, je n’ai pas souvenir qu’il y ait eu de pogromes comme on en fait actuellement aux gens du FN « . Le 20 mars dernier, Pierre de Villemarest, co-animateur du Libre Journal de Claude Giraud, s’est laissé aller à prononcer une phrase qui niait l’existence des chambres à gaz. L’horreur de l’extermination se résume à  » deux ou trois essais  » de zyklon B. Cette phrase malencontreuse (effacée des rediffusions…) a enfin éveillée l’attention du CSA. Alors que le sort de la station est entre ses mains, Jacques Toubon, pense-t-il comme il l’exprimait en termes élogieux il y a 5 ans, que Radio Courtoisie est « avide de justice … et à l’écoute de la sincérité  » ?

Tristan Mendès France. Michaël Prazan.
Tribune Juive 17 avril 97