Contre le FPÖ un espoir : la CEDH.

Date de Création: 12 Nov, 1999, 12:32 PM

Voici quelques arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, devenue récemment permanente) qui en révélant toute l’ambiguité de la politique judiciaire autrichienne face au FPÖ (le parti populiste de Jorg Haïder), ouvre la voie à une nouvelle résistance institutionnelle. À plusieurs reprises du milieu des années 80 à nos jours, les juges autrichiens ont condamné pour diffamation tous ceux qui relevaient les accointances du FPÖ avec l’idéologie nazi. Très procéduriers, comme leurs acolytes français du FN-MNR, les meneurs autrichiens d’extrême droite ont systématiquement attaqué en justice et ont toujours obtenu gain de cause devant des juridictions autrichiennes par trop conciliantes. Si ce n’était pour les arrêts de la CEDH, toute réaction citoyenne resterait muselée.
Très instructives, ces quelques affaires le sont à plusieurs titres. Jugez plutôt.

Le 9 octobre 1975, quatre jours après des élections législatives en Autriche, M. Simon Wiesenthal, président du Centre de documentation juive, accusa dans un entretien télévisé M. Friedrich Peter, président du Parti libéral d’Autriche (FPÖ), d’avoir servi pendant la seconde guerre mondiale dans la première brigade d’infanterie des SS, qui avait à plusieurs reprises procédé à des massacres de civils derrière les lignes allemandes en Russie. Le lendemain, M. Bruno Kreisky, chancelier sortant et président du Parti socialiste d’Autriche (SPÖ), fut interrogé à la télévision sur ces accusations. Immédiatement auparavant, il avait rencontré M. Peter à la Chancellerie fédérale. Leur réunion s’inscrivait dans le cadre des consultations habituelles entre chefs de partis en vue de la formation d’un nouveau gouvernement; elle avait éveillé beaucoup d’intérêt dans le public, parce qu’avant les élections du 5 octobre on avait examiné l’éventualité d’un gouvernement de coalition Kreisky-Peter (Nous sommes en 1975, que dire de la position de l’actuel gouvernement autrichien ?). Kreisky soutint avec vigueur M. Peter, qualifiant les activités de M. Wiesenthal de « mafia politique » et de « méthodes de mafia ». Le rédacteur en chef de la revue Profil M. Lingens, décida de publier les informations concernant le passé nazi de M. Peter, et les complaisances du Chancelier à son égard. La sanction ne se fit pas attendre. Il fut attaqué pour diffamation, et condamné par la justice autrichienne à de lourdes amendes. Ayant épuisé tous ses recours juridictionnels, M. Lingens porta l’affaire devant le CEDH qui à la stupéfaction des chroniqueurs, jugea le 24 juin 1986, contraire à l’article 10 de la convention (liberté d’expression), la décision autrichienne.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la Cour européenne eut à connaître d’autres affaires semblables en tout point à la précédente : Le 29 mars 1983, par exemple, pendant la campagne pour les élections parlementaires, une émission de télévision relata certaines déclarations de M. Walter Grabher-Meyer, alors secrétaire général du Parti libéral d’Autriche (FPÖ) et, fait notable, membre de la coalition au pouvoir : il avait suggéré de relever de 50 % les allocations familiales des femmes autrichiennes, et de diminuer de moitié celles versées aux mères immigrées. M. Oberschlick rédacteur en chef de la revue autrichienne Forum, compara alors dans ses colonnes cette proposition du FPÖ au manifeste du NSDAP du 24 février 1920, notamment son article 7 : “ Nous exigeons que l’État s’engage à veiller par priorité aux possibilités d’emploi et aux moyens de subsistance de ses ressortissants ». Encore une fois, les instances judiciaires autrichiennes constataient l’existence d’une diffamation à l’encontre du dirigeant FPÖ. Encore une fois la CEDH rectifiait le tire par son arrêt du 23 mai 1991. Leçon retenue ?

Certainement pas. Le 7 octobre 1990, Jorg Haïder, président du parti libéral autrichien (FPÖ) depuis 1986 et chef du gouvernement du Land de Carinthie, prononça au mont Ulrich à l’occasion d’une « célébration de la paix », un discours à la gloire de la « génération de soldats » qui avaient participé à la seconde guerre mondiale. Il y exprimait l’idée que tous les soldats, y compris ceux de l’armée allemande, avaient combattu pour la paix et la liberté. Un journaliste tenta alors de rapporter ces faits en soulignant le caractère apologétique du discours. M. Haïder porta plainte devant les juridictions de son pays, qui condamnèrent, sans grande surprise, l’impétrant. La CEDH, sept année plus tard, sanctionnera de nouveau une Autriche qui, condamnations après condamnations, semble doucement prendre la mesure de l’image détestable qu’elle donne à la communauté européenne et internationale.

Aujourd’hui, seule la Cour semble avoir les moyens de lutter contre la dérive réactionnaire de l’Autriche. Cette institution gagnerait a être reconnue et ses combats méritent d’être salués. D’ailleurs, si sa condamnation pour diffamation envers Jean-Marie Le Pen est maintenue, Mathieu Lindon peut être certain de trouver chez elle un allié fiable. Après un Oberschlick contre Autriche à quand un Lindon contre France ?

Tristan Mendès France
12nov99

Emaile-moi à Fleurys. Pour le email en prison

Emaile-moi à Fleurys. Pour le email en prison
Date de Création: 30 Sep, 1999, 12:35 PM
30-9-99
« Les détenus condamnés peuvent écrire à toute personne de leur choix et recevoir des lettres de toute personne », c’est le principe qu’expose l’article D 414 du Code de procédure pénale. À ce principe, comme souvent et surtout quand on s’attache à un lieu de privation de liberté comme la prison, beaucoup d’exceptions.
Outre celles, classiques, interdisant l’envoi et la réception de lettre si la correspondance « paraît compromettre gravement… la sécurité et le bon ordre de l’établissement » (art. D 414 al 2), on note des interdictions liées à la lisibilité des textes communiqués (si la missive n’est pas lisible, elle est « retenue »).
À quoi s’ajoute la possibilité pour le détenu, toujours en théorie, de téléphoner vers l’extérieur ou d’être appelé dans des cas exceptionnels (décès familial…) et toujours sous contrôle (c’est à dire écoute).
Au résultat, une situation de principe qui devrait se traduire par la possibilité de recevoir ou d’émettre des emails. Il n’est plus possible en effet de différencier fondamentalement un coup de téléphone d’un fax, une lettre d’un courrier électronique. C’est la conséquence technologique de ce que les spécialistes appellent le digital meltingpot, ou creuset numérique…Restent malgré tout deux problèmes au email en taule : l’argent d’abord. Peut-on sans être naïf espérer une ligne téléphonique pour chaque prisonnier ? Non bien sûr, mais de plus en plus d’établissements pénitentiaires (notamment en région parisienne) vont se doter d’une connexion Internet d’ici quelques mois. Rien n’empêche dès lors aux familles d’emailer au centre carcéral qui imprime le texte pour le détenu qui à son tour rédige une lettre qui peut être reemailée.
La lisibilité, ensuite. Le email ne va-t-il pas permettre au prisonnier de commettre un cyber hold up ? Encore une fois aucun risque. Le courrier électronique est aussi voir plus contrôlable que la simple missive puisqu’en définitive le transfert des messages passe inévitablement par le filtre des services pénitentiaires.
On peut remarquer au surplus qu’il existe déjà des moyens télématiques de correspondance entre les détenus et leurs proches. Certains établissements se sont dotés d’un service Minitel comprenant une messagerie électronique (3615 Baumettes, par exemple). Or, encore une fois, la différence qui existe entre l’Internet et le Minitel est ténue. À ceci près que le Minitel est cher, très cher pour des familles souvent modestes. On pourrait objecter que ces mêmes familles ont peu de chance de posséder le matériel informatique qui leur permettrait la conversation électronique ; ce serait oublier que certains services associatifs ou institutionnels d’aide aux détenus sont déjà équipés.

Il existe évidemment des problèmes beaucoup plus grave en prison (non remise du règlement interne aux détenus, contrôles externes quasi inexistant…) mais ce petit plus, qui ne coûte rien à l’administration pénitentiaire, moins cher qu’un timbre postal pour les familles et le prisonnier, tend à rappeler que la liberté de communication, quelque soit le médium, est un droit fondamental ; même pour les taulards. Gageons que la rentrée parlementaire qui se penchera sur le délicat dossier de l’administration pénitentiaire sera l’occasion d’insérer un disposition en ce sens.

Tristan Mendès France

Nos élus chez les taulards !

Nos élus chez les taulards ! Date de Création: 23 Jun, 1999, 12:34 PM
Pour que les lieux de privation de liberté soient accessibles à la représentation nationale, inspirons nous des italiens.

Les récentes révélations de l’Observatoire international des prisons rappelle encore une fois que le milieux carcéral français n’est pas à l’abri de graves dérapages. Les incidents de la maison d’arrêt de Beauvais témoignent une nouvelle fois de l’opacité qui règne dès que l’on franchit les grilles de la prison. Comme toujours, on manque d’observateurs externes qui pourraient tirer le signal d’alarme lorsque des irrégularités sont commises par l’administration pénitentiaire. Outre la résolution d’application lointaine et incertaine du Parlement européen du 17 décembre 1998 qui propose de faire en sorte « que les députés européens disposent du droit de visite et d’inspection dans les établissements pénitentiaires », c’est de l’autre coté des Alpes que vient l’initiative la plus aboutie. Depuis près d’un quart de siècle maintenant, la législation italienne prévoit la possibilité aux parlementaires, conseillers régionaux, membres de la Cour constitutionnelle ou du conseil supérieur de la magistrature, de pénétrer dans n’importe quelle prison du territoire national, à n’importe quelle heure et sans autorisation préalable. L’article 67 de la loi pénitentiaire italienne du 26 juillet 1975 favorise ainsi l’accès du milieux carcéral à la représentation nationale. Une longue tradition qui fait de l’Italie un pays pionnier dans la défense des condamnés. Mario Vaudano, président de la Cour d’appel de surveillance de Turin et grand praticien du traitement en incarcération, rapporte que les institutions pénitentiaires sont visités par des représentants nationaux en moyenne au moins une fois par semaine et constate même une légère progression dans la fréquence des visites ces dernières années. On en est malheureusement bien loin aujourd’hui en France, et qui sait ce qui se serait passé à Beauvais si un parlmentaire s’était déplacé ? Le principe reste pourtant que dans tout état de droit qui se respecte, la prison est un lieu relevant de l’espace public, contrôlé par la société civile, elle-même représentée par ses élus. Or, à ce jour, députés et sénateurs français ne peuvent accéder au système carcéral sans autorisation préalable, autant dire sans garantie réelle de pouvoir constater un mauvais traitement. En d’autres termes, la chaîne de contrôle qui va de la société à la prison est brisée et le système pénitentiaire se trouve ainsi déplacé hors du champs de visibilité de la conduite démocratique. Tous les lieux de privations de libertés (garde à vue, zone de rétention, prison, voire ministère de l’intérieur) devraient pouvoir être accessible à nos représentants nationaux de façon à ce que, comme en Italie, aucun angle mort ne puisse obstruer l’observation et le contrôle des lieux d’incarcération. Gageons que notre Garde des sceaux, inspirée par cette belle initiative transalpine, trouvera l’espace nécessaire pour insérer dans son projet de loi portant création de la Commission nationale de déontologie, une telle disposition … à moins que nos élus amendent eux-mêmes le texte dans cette direction.

Tristan Mendès France
(23/6/99)

Pétain, Le Monde et la Cour européenne des droits de l'homme.

Le 14 Jan, 1999, 12:40 PM

Le 23 septembre dernier, la Cour européenne des droits de l’homme rendait un arrêt particulièrement inquiétant qui jusqu’à ce jour n’a entraîné de réactions officielles ni des autorités publiques, ni des milieux associatifs citoyens.L’affaire remonte au 13 juillet 1984. Dans un encart publicitaire portant le titre « Français vous avez la mémoire courte », le quotidien Le Monde publiait une pleine page dont l’objectif affiché était la réhabilitation du Maréchal Pétain. Marie-François Lehideux, ministre du maréchal de septembre 1940 à avril 1942 et Jacques Isorni, ancien avocat du barreau de Paris, défenseur de Pétain devant la Haute Cour de justice (tous deux aujourd’hui décédés), étaient à l’origine de cette initiative. Le rôle du maréchal durant la seconde guerre mondiale y était présenté comme « salutaire ». Et comme Maurice Papon il y a peu, le Maréchal y était comparé à Dreyfus, une manière de se dédouaner par avance de toute espèce d’antisémitisme et de s’associer, comme de coutume, à ce symbole républicain de l’erreur judiciaire. La sempiternelle théorie dite du « bouclier », dont il fut prouvé maintes fois qu’elle était sans fondement, était reprise pour tenter de justifier la politique du maréchal Pétain. Le Monde publia cette pleine page sans autre commentaire, avalisant, indirectement, cette apologie de Vichy.

Deux associations (l’Association nationale des Anciens Combattants de la Résistance et le Comité d’Action de la Résistance), furent les seules à s’alarmer d’une telle publication au sein du plus prestigieux quotidien français, et décidèrent de porter l’affaire devant les tribunaux. Après un parcours judiciaire long et tortueux, la Cour d’appel de Paris condamna en dernier ressort, le journal et les deux anciens collaborateurs de la politique de Vichy pour « apologie des crimes ou délits de collaboration avec l’ennemi », par un arrêt daté du 26 janvier 1990. Les associations représentant messieurs Isorni et Lehideux, après avoir épuisé tous les recours internes du Droit français, saisirent la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Contre toute attente, la Cour de Strasbourg, dans un arrêt du 23 septembre 1998, a estimé « disproportionnée, et dès lors non-nécessaire dans une société démocratique la condamnation pénale subie par les requérants » (en l’espèce un franc de dommages et intérêts ainsi que la publication du jugement dans Le Monde). Autre argument invoqué : le fait qu’ « il ne convient pas, quarante ans après, d’appliquer la même sévérité à l’évocation d’événements que dix ou vingt ans auparavant ». La Cour Européenne des Droits de l’Homme, dans son rendu, souligne également que la collaboration du maréchal Pétain avec l’occupant nazi « relève d’un débat toujours en cours entre historiens sur le déroulement et l’interprétation des événements dont il s’agit. A ce titre, elle échappe à la catégorie des faits historiques clairement établis », même si Pétain fut condamné à mort et à l’indignité nationale par arrêt de la Haute Cour de Justice du 15 aout 1945 du chef d’intelligence avec l’ennemi. Une décision qui va à l’encontre de la juridiction française en ce domaine et qui jette la suspicion sur les condamnations de Maurice Papon ou Roger Garaudy. C’est donc pour ces différents motifs que la Cour vient de condamner la France a verser aux requérants une somme de 100 000 francs de frais et dépens, pour violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ; article qui prétend garantir la liberté d’expression.

Que s’est-il passé depuis lors ? Rien ou presque. On peut comprendre qu’on ait cherché à ne pas trop ébruiter l’arrêt (par ailleurs disponible in extenso sur le site Internet de la Cour de Strasbourg : www.dhcour.coe.fr/fr/LEHIDEUX%20FR.html) afin d’éviter toute récupération politicienne ou idéologique, soit par les anti-européens (Amsterdam oblige), soit par les négationnistes et autres nostalgiques de l’Etat Français (trop heureux de voir une instance soutenir l’un des leurs). Mais se taire sur un tel sujet n’atténue en rien le trouble provoqué à l’issu de la décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et n’empêche en rien la satisfaction des milieux d’extrême droite pour qui l’affaire fait jurisprudence. Il ne fait dès lors aucun doute qu’à terme, d’autres associations (cultivant la mémoire qui de Laval, qui de Darquier de Pellepoix), sous couvert de liberté d’expression, tenteront de contourner un appareil juridique français contraignant (lois Pleven, Fabius, Gayssot) en saisissant la Cour Européenne de Strasbourg, ouvrant toute grande la porte du négationnisme au mépris de toute éthique historique.

Tristan Mendès France
Michaël Prazan
14-1-99